Quelque chose détrange et de malsain rôde autour de chez moi, jen suis certains, je le sens. La nuit ou la journée je sens une présence et il y a des choses qui se font toutes seules. Ça a commencé par le jardin, sétait comme si quelquun sen occupait à ma place, à chaque fois que je my rendais pour y faire quelque chose sétait déjà fait. Maintenant cest entré dans la maison, il y a beaucoup dobjets qui changent de place, ils sont rangés là où ils doivent lêtre alors que je nai pas fini de men servir. Même dans ma chambre le matin les choses ne sont pas à la place où elles étaient le soir au moment de me coucher, alors que je dors toutes les portes et fenêtres verrouillées à double tour. Parfois dans la nuit je me réveille avec le sentiment dêtre observé mais lorsque jallume la lampe il ny a rien ni personne, seulement moi. Je nai pas osé en parler à qui que ce soit, il y a trop de personnes qui seraient heureuses de me faire passer pour un fou et ça leur ferait un prétexte rêvé pour misoler un peu plus.
Ce soir ça a pris une autre dimension, maintenant je sais que je ne suis pas fou, car je lai vu. Il a frappé à ma porte, jai été surpris lorsque jai ouvert, très surpris. Il me ressemble trait pour trait, il na pas dit un mot, moi non plus. Il est entré, jai ajouté un couvert, il sest assis en face de moi et on a mangé en silence. Cest au moment de la vaisselle que les choses ont dégénéré, il ny avait pas assez de place pour deux personnes à lévier. Je pense que cest pour ça quil a brandi un couteau pour me poignarder. Paradoxalement je nai pas été beaucoup surpris par ce geste. Peut être parce que ça fait longtemps que je vis dans lidée quun jour quelquun essayera de me supprimer. Jai eu le temps de saisir également un couteau et je me suis défendu de mon mieux, jai même réussi à poignarder lautre. Il a paru surpris quand la lame est entrée dans son corps, comme moi dailleurs quand jai senti quil avait réussi à me blesser. Des années dentraînement et de prudence pour en arriver à être blessé dés que ça devient vraiment sérieux. Cest un peu désolant, mais jaurai dû me douter que tôt ou tard on trouverait le moyen de se débarrasser de moi. Jai déjà survécu à pas mal de tentatives de méliminer que ce soit par lintermédiaire de pseudo chauffards où de ces manigances visant à mempêcher daccéder à un emploi décent ou davoir droit, au même titre que dautres, à divers aides. Personne nimagine à quel point les simples problèmes administratifs peuvent devenir une véritable forme de harcèlement utilisée pour éliminer socialement une personne que lon juge indésirable. Jespère que la blessure nest pas trop grave et que je tomberai pas sur un médecin qui essayera, comme dautres avant lui, de machever discrètement.
Jai été un peu trop optimiste concernant ma blessure, il a fallu plusieurs semaines avant que les gendarmes se décident à enfoncer ma porte. Maintenant cest fait, je me demande ce quils ressentent en découvrant ma carcasse presque déjà sèche et encore bouffée par quelques vers, les autres sétant déjà transformés en mouches qui envahissent la pièce, accompagnées par une odeur pestilentielle. Dailleurs sen est trop pour lun des pandores, il est sorti pour vomir là où il avait ce paillasson sympa que lon ma volé. Il ny a pas lair davoir de trace de lautre, je ne sais pas ce quil en est advenu. De toute façon jétais sur que tout serait fait pour éliminer toute trace laissant penser à un meurtre lorsque lon méliminerait. Même les ramasseurs de cadavres ont pas lair à laise en me ramassant. Cest pas comme les commères du voisinage, elles aimeraient avoir le loisir de contempler ma carcasse pourrie. Dans le village ça va encore discutailler bon train, jignore quelles saloperies vont être sorties sur mon compte mais jimagine facilement. Mes collègues de travail du moment me regretteront certainement pas, de toute façon certains dentre eux cherchaient à se débarrasser de moi. Je leur manquerai juste au niveau de la quantité de travail que jabattais, jusquà ce quils trouvent un nouveau mulet pour bosser à leur place. Par contre ce sont les fonctionnaires que lon avait mis au travail pour sacharner sur moi qui vont sennuyer. Ils vont devoir se trouver un nouveau souffre douleur pour passer leur temps.
Le légiste a pas lair de se marrer non plus en mautopsiant, cest vrai que le spectacle et peu ragoûtant et mon cadavre peu facile à autopsier. Pas facile de tailler au scalpel dans de la chair déjà putréfiée, pour pouvoir ensuite attaquer au coupe boulon les côtes qui laissent échapper un craquement sinistre lorsquon les coupe. Son objectif cest mon cur puisque quapparemment cest là que lautre à réussit à planter la lame, le problème cest que les vers en ont déjà bouffé une bonne partie. En tout cas ils sont scrupuleux ces gens de la médecine légale, au fur et à mesure quils me découpent, ils me constituent un bel album photos bien plus conséquent que ceux que jai pu constituer de mon vivant. Dailleurs je me demande ce quil va advenir de mes affaires ? Elles vont certainement être déménagées et bradées au profit de la communauté, cest beau le recyclage. Je suis certain que personne naura une pensée pour le fait que tous ces objets personnels en disent plus sur moi et ce que jétais vraiment, que toutes ces conneries que lon racontera sur mon compte. Je me demande aussi comment ils vont classer laffaire. Cela dans la mesure où il leur faudra bien expliquer la présence dun deuxième couteau taché dun sang identique au mien alors que je nai quune blessure et que langle dentrée de la lame rend la thèse du suicide peu plausible. Mais bon, on peut compter sur ces volontés unanimes et complices de me voir disparaître pour que laffaire soit oubliée tout comme ma personne. Il me reste une consolation, savoir que chaque journée pendant laquelle jai survécu, à la haine aussi indicible que discrète qui sest acharnée sur moi depuis toujours, a dû être synonyme pour ceux qui voulaient méliminer dune frustration difficilement supportable.