26 octobre 2002, 19h16
Et toujours pas de nouvelles de mon fils
Je naime pas cette maison, elle a quelque chose de bizarre. La pièce dans laquelle je me trouve est assez sombre, malgré la couleur jaune vif des murs. Les rideaux sont restés fermés, et les nuages qui recouvrent la ville aujourdhui narrangent rien à cette pénombre. Tous ces gens qui sagitent autour de moi mexaspèrent ; impossible de faire mon boulot convenablement ! Ça a toujours été ce que je déteste le plus, observer des cadavres sous tous les angles. Dautant plus que celui-ci ne me plaît vraiment pas. Je ne sais pas ce quil a, il minquiète, cest tout. Pourtant, il va bien falloir que je le fasse, que je demande à tous ces messieurs de se bouger un peu, ne fut-ce que pour pouvoir apercevoir le corps
Il est allongé sur le ventre, au milieu de ce salon, entre le canapé et un buffet en chêne, la tête, tournée de lautre côté, à moitié en-dessous de la table. Il est mort vers 18 heures, étouffé par quelquun ou quelque chose a dit le médecin légiste, et pourtant, aucune trace de lutte, rien. Malgré le sentiment de crainte omniprésent, je me décide à passer de lautre côté du corps pour découvrir son visage. Pour y arriver, je vais devoir lenjamber, mais le simple fait de lapprocher me révulse. Je nai jamais ressenti cette impression auparavant. Cest plus quun mauvais pressentiment ; quelque chose, je ne sais quoi, me repousse de ce corps. Mes hommes mobservent, ils se demandent ce qui marrive, naturellement. Je dois devenir fou, cest impossible autrement
Je finis par lenjamber. A présent, je nai quà me retourner pour découvrir ce visage que je ne veux pas voir
Je
je lai vu, mais ce que jai vu ma tellement sidéré, que je ne lai regardé quune fraction de seconde
Jai dû rêver, ce nest pas possible !
Je me retourne à nouveau vers cet homme, vers ce visage, vers
Cest incroyable !
Il na pas les muscles crispés comme lont toujours les morts étouffés, aucune expression de douleur, rien. Un mince filet de salive a coulé de sa bouche et a déjà séché sur le parquet. Ses yeux sont légèrement clos, comme sil réfléchissait, comme sil était encore en train de se concentrer. Cette expression, ce
Mais le pire, je narrive pas à y croire ! Le plus effroyable,
Cet homme, il
Cest
26 octobre 2002, 18h51
Enfin, je vais pouvoir rentrer chez moi. Quelle journée ! Une atmosphère un peu particulière aujourdhui, irréelle, insipide
Heureusement, jai rendez-vous dans moins de dix minutes avec mon fils au café du coin. Il est déjà père de famille et je ne le vois plus très souvent, même si je minquiète en permanence pour lui.
Je me lève pour prendre ma veste quand un stagiaire du commissariat se rue vers moi en criant quon a quelque chose qui ressemble à un assassinat dans le centre
Et voilà ma soirée fichue ! Résigné, je reviens à mon bureau pour téléphoner à mon fils, mais son fixe ne répond toujours pas, et son mobile non plus. Bizarre
Je le recontacterai plus tard.
En chemin, je questionne le stagiaire : qui est la victime, à quand remonte la mort, etc. Et japprends que cétait un homme entre deux âges, dont on ne connaît pas lidentité exacte. La mort serait toute récente, 45 minutes, grand maximum.
Encore une affaire qui, demain, tombera aux oubliettes
Cest seulement après vingt minutes dans les embouteillages que nous arrivons enfin à ladresse du meurtre. Cest une petite maison, classique, comme on en voit partout. Le propriétaire semble, ou semblait en prendre soin. Comme à chaque fois, jai peur de ce qui mattend à lintérieur. Cest un handicap pour un flic comme moi, approchant la cinquantaine. Et cette fois-ci, je ne sais pas pourquoi, mais jai vraiment un mauvais pressentiment
26 octobre 2002, 15h38
On frappe à ma porte. Déjà plus de 30 minutes que je me suis assoupi, jespère quon ne ma pas vu !
Cest le boss qui entre, il a lair renfrogné, comme à laccoutumée. Pourtant, cette fois-ci, il ne me regarde pas de la même façon que dhabitude, un peu comme sil ne me connaissait pas, comme si jétais insignifiant, sans importance. Je métonne de ne pas sentir son habituel et insupportable parfum. Il me dit que jai encore du travail qui mattend, du pain sur la planche. Comme si je ne le savais pas !
Fichue journée, une journée comme on aimerait rayer du calendrier
Je my remets à contrecur.
26 octobre 2002, 15h02
Jai enfin quelques minutes à moi, je dois vraiment moccuper de tout dans ce commissariat, on dirait quils le font exprès !
Je me laisse aller dans le fond de mon fauteuil, et je dépose mes pieds sur un des rares endroits vides de mon bureau. Je fumerais bien une petite cigarette, mais le paquet est dans ma veste, et le courage me manque pour me lever. Mes yeux se ferment petit à petit, je ne résiste pas
26 octobre 2002, 12h17
Cest lheure. Et quand cest lheure, cest lheure ! Je quitte mon bureau après avoir enfilé ma veste, je sors du « poulailler », comme on lappelle, et je prends, sans réfléchir, le chemin habituel pour me rendre à mon restaurant favori. En passant devant la décharge, je métonne de ne pas sentir cette odeur infecte qui me force à accélérer à chaque fois
Je ny prête pas trop attention, et continue de ce même rythme neutre, monotone.
Une fois arrivé, je minstalle à ma table, entre la vieille de la rue des Hirondelles, et létudiant qui, comme chaque jour, est plongé dans ses livres. Je commande le même repas quà chaque fois, mais jy touche à peine : le cuisinier habituel doit être en congé, cest tout simplement infect ! Ou alors je dois couver une de ces maladies qui transforment le goût
Je sors quelques minutes plus tard, après avoir demandé au serveur de mettre la note sur mon compte. Il faudrait dailleurs que je pense à leur payer tout ça
Et je reprends le chemin inverse.
26 octobre 2002, 10h36
Et flûte ! Javais dit que je téléphonerais au fiston à 10h précises, et avec toutes ces histoires de cambriolage, le temps est passé beaucoup plus vite que prévu. Je devais lui confirmer le rendez-vous de ce soir.
Mieux vaut tard que jamais, je téléphone chez lui. Un coup, deux coups, six coups, huit coups
Il ne répond pas. Bon, il doit être parti, je lui envoie un sms.
Et, sans attendre sa réponse, je me replonge dans mes dossiers.
26 octobre 2002, 8h00
Et voilà un jour comme les autres qui commence par le joyeux chant du réveille-matin, quils disaient dans la pub !... Je massieds, je mébouriffe rapidement dun air endormi. Jai rudement bien dormi dailleurs, ça ne marrive plus très souvent
Je me lève, prends une douche rapide, mhabille et passe dans la cuisine pour me préparer un petit déjeuner léger. Beurre, tartine et confiture, comme dhabitude. Je massieds à la table et mange sans trainer en pensant à tout ce qui mattend aujourdhui.
Je débarrasse la table et en profite pour essuyer une petite tache sur le parquet à côté de lun de ses quatre pieds.
Je marche à présent en direction du commissariat.
25 octobre 2002, 17h57
Quelle chance davoir pu rentrer plus tôt aujourdhui ! Ça va me permettre davoir une nuit plus longue, beaucoup plus longue ! Jen ai dailleurs bien besoin aujourdhui ; ça fait bien une heure que jai ce foutu mal de gorge un peu bizarre. Et cette lumière qui méblouit, ça doit être la fatigue. Je ferme les rideaux et retourne vers ma chambre.
Mais, tout à coup, au milieu du salon, ma tête se met à tourner, tourner si vite que je mécroule sans men rendre compte. Jai du mal à respirer et je ne sens plus mes jambes. Jai dû être frappé par quelquun, ce nest pas possible ! Mais autour de moi, je ne vois rien.
Rien, à part ce canapé et ce buffet en chêne, de lautre côté. Je me rends compte que jai la tête à moitié en dessous de la table. Et ces murs jaunes, jaune vif.
Tout disparaît peu à peu, mes yeux se ferment et je me sens bien ! Même si je ne comprends pas ce qui marrive, jai limpression dêtre libéré, jai limpression de pouvoir changer, dêtre hors du temps, comme si
Comme si
Je ne sais pas.
Je meurs, je me sens partir, serein. Je sens que jai à présent léternité pour réfléchir, pour me concentrer.
Je suis mort, je nai pas très bien compris, mais je suis mort.
Jai limpression que tout, vraiment tout, est possible
Que dans ce monde, tout est possible