Je suis dans ma chambre. Jécris. Mon vieux radio cassette passe pour la énième fois cette vieille cassette des Stones que jaime tant. Elle en est à Neighbours. Par habitude, je monte toujours un peu le son sur celle-là. Je laime bien. Immédiatement, la narration se fluidifie et les idées me viennent mieux. Macha, mon héroïne va tomber gravement malade et peut-être lami Vlad va-t-il se précipiter chez elle pour lui soutenir la tête lors de son dernier soupir. Il lui doit bien ça après tout. Après tout ce quil lui a fait subir à cette pauvre Macha. Je vous raconte ? Rapide alors.
Il la plaquée comme un gros cochon il y a six mois de cela parce quil avait rencontré une espèce dimmigrante roumaine, Ania, qui rêvait de cinéma ou de photo ou dun producteur ou dun photographe. Dune vie normale à la française quoi. Pas la misère communiste quelle connaissait bien. Ni la misère post-Causescu quelle connaissait mieux encore puisque son père avait été emprisonné puis exécuté dès janvier 90. Une chouette fille cette Ania. Jolie brin de gonzesse en plus. Un beau mètre soixante-quinze, un 85 C à faire pâlir Ursula Andress et un petit bout de nez en lair à la française lui répétait-on tout le temps à Bucarest. Elle était donc arrivée et avait rencontré Vlad. Par hasard. En boîte. Elle avait immédiatement été séduite par son sourire et son prénom de vampire. Ils navaient pas couché ensemble ce soir là car on lui avait bien dit de se méfier des français qui sont de sacrés dragueurs et il ne voulait pas faire ça à Macha non plus. Il voulait dabord lui annoncer quils allaient se séparer, quil avait rencontré lâme sur, la vie sans elle gna gna gna. Ca avait pris une semaine. Et puis voilà. Elle est malade maintenant. Une espèce de désespoir grave.
Je sais, je ne suis pas un grand écrivain, mais que voulez vous ? Ca marche pas mal. Enfin, ça se vend quoi. Mon éditeur madore et me force à écrire continuellement. Il ma promis aussi de me faire inviter bientôt à la télé. Chez DArvor ou Durand. Sonnette. Toujours au mauvais moment. Ca cest typique. Cest juste quand linspiration me vient que la vie vient se mettre en travers de mon chemin. Je baisse la musique, me mouche et vais ouvrir. Putain, elle est belle !
« Excusez moi, mais vous pourriez pas baisser un peu votre musique de sauvage. Jessaye de dormir. »
Quelle heure il peut bien être pour que jempêche cette dame de dormir ? Elle est strip-teaseuse et vient de rentrer chez elle pour dormir. Elle est encore nue sous son peignoir bien fermé mais accepte un café quand même.
« Vite fait alors. Je suis nue sous mon peignoir. »
Elle maccule bientôt dans mon salon pour me faire des propositions indécentes. Elle jette une de ses jambes fine et musclée autour de ma hanche gauche, me passe les bras autour de la nuque et me glisse dans loreille, en même temps que sa langue, que si je ne baisse pas la musique elle sera très vilaine avec moi. Je sens davantage son souffle que je nentends ses mots mais je comprends très bien le message. Sonnette. Mon front a écrit nb ,vkudh dx. Je me relève de mon clavier, me gratte la tête parce que jai vu dans les films que quand on se fait tirer de son sommeil précipitamment, on se gratte la tête. Je me lève de ma chaise, baisse la musique, me mouche et vais ouvrir. Cest Ania. La vraie. Ma voisine du dessus. Elle sappelle Ania aussi, mais phonétiquement seulement. Je ne sais pas comment ça sécrit. Elle est noire ébène et travaille dans un bar de nuit. Je ne pense pas quelle soit strip-teaseuse. Elle est surtout en DEA déconomie internationale à Paris-je-sais-pas-combien.
« Excusez moi, mais vous pourriez pas baisser un peu votre musique. Jaimerais dormir encore un peu ou au moins pouvoir bosser tranquillement. »
Je bafouille des excuses et lui certifie que bien sur je vais baisser un peu et quil ne faut surtout pas quelle se gêne pour revenir, moi, je ne me rends pas bien compte parce que je suis bien concentré sur mon clavier alors vous voyez, quoi.
Vlad se retrouve au chevet de Macha et se répand en excuse. Il culpabilise. Il se dit que cest peut-être un peu de sa faute tout ça. Il sent bientôt des larmes saccumuler sous ses paupières et se force à les retenir. Ca lui fait un peu mal mais la boule dans sa gorge laide bien. Sil pleure, ça va lui faire encore plus mal.
Sonnette. Une grande blonde en tailleur bleu-marine me dit tout de go quelle a tué son copain parce quil voulait lobliger à coucher avec dautres garçons. Des copains à lui. des producteurs de cinéma. Il lui proposait cela par amour, mais évidemment cette ingrate ne se rendait pas compte de tout ce quil faisait pour elle. Elle lui a balancé un cendrier en plein visage Un gros cendrier en verre. Elle est extrêmement calme. Certainement au bord de la crise de nerfs. Le temps de me dire tout ça, elle est déjà assise sur mon canapé. Je retourne dans ma chambre afin de vérifier que je ne suis pas en train de dormir sur mon clavier. Je me pince Je fais tout ce que je vois faire dans les films. Jai bien limpression dêtre réveillé. Elle me suit et mexhorte à me dépêcher.
« Mais me dépêcher pour quoi ? Bordel ! »
Là, je ménerve un peu. Elle aimerait que je laide à se débarrasser du corps. OK. Je sauvegarde mes dernières lignes de prose et jabandonne Vlad au bord des larmes.
Son salon est à peu près bien rangé, si ce nest un gros bonhomme gisant au beau milieu du lino, une petite flaque de sang coagulant tranquillement sous sa nuque. Il regarde le plafond et cela semble le passionner. Nous sommes chacun dun côté du cadavre. Elle me propose de prendre le haut et elle se chargera du bas qui doit a priori être moins lourd. Jacquiesce. Dans lescalier, les bras du mec se prennent dans les barreaux et nous font prendre un retard considérable.
« au fait, vous voulez en faire quoi ? »
Sonnerie. b,n ,khuhjk ;inhgjngfvggbji. egslnhqlkjmlkjqzrjfhmitqmnhfvkj. Jai bien dormi là. Sacré prose. Cest Ania la vraie voisine. Elle me propose de venir prendre lapéro pour sexcuser de son ton de tout à lheure. De toute façon, elle ne parvient pas à bosser. Elle est trop crevée. OK je lui dis.
Son appart est vraiment spartiate. Un canapé qui doit certainement faire lit, une table basse, une grande étagère avec tout dessus et un petit range-cd. La cafetière est en train de gargouiller. Cest drôle, jai la sensation que le gargouillis de la cafetière doit à peu près sécrire comme ce que je tape avec mon front. Nous nous installons dans le canapé et elle séclipse dans sa petite cuisine pour rincer deux mugs.
« Mug ou tasse ?
Mug, merci.
Sucre ?
Ouaip. Un demi. Merci. »
Elle sassoit en face de moi, en tailleur sur un petit coussin.
« Et sinon, vous faites quoi dans la vie pour rester toute la journée enfermé chez vous ? Vous êtes écrivain ou un truc comme ça ?
Bah ouaip. Je suis écrivain en fait.
Et vous écrivez quoi comme genre ?
Bein, en fait, jécris des romans un peu
Je commence à me dire quil serait temps quelle entrouvre son corsage afin que je ne puisse plus refuser le plan dangereux et malhonnête quelle devrait bientôt me proposer. Ce nest jamais aussi long dhabitude.
et en général, à la fin, soit ça finit bien, soit ils meurent tous les deux. Ce qui en fin de compte et compte tenu du genre de cette littérature et de ces impératifs, est également une fin qui finit bien. Le tout, cest quil ny en ait pas quun seul qui meure. Ca, cest pas bon »
Bon. Et là, elle se jette sur moi et fait vachement plus que lentrouvrir. Son corsage. Elle me met carrément ses seins dans les yeux. Ils sont magnifiques. Chauds et ronds. Elle ne peut pas avoir plus de vingt-trois ans. Pas possib. Ma théorie se confirme. Elle a certainement un truc grave à me demander puisque malgré mes seulement trente-trois ans et le prestige que mon boulot me confère, je ne suis franchement pas terrible. Ma peau est ravagée par les café-clopes que je menfile à longueur de journée depuis dix ans et elle na pas dû voir le soleil depuis bien longtemps. Bah, tiens, depuis le festival de Marrakech où là, elle avait vu le soleil entre la descente de lavion et larrivée dans le sas de douanes. Maintenant, elle est en train de me faire des trucs incroyables mais comme je ne suis pas très bon pour les scènes de cul, nous nous retrouvons dans son canapé qui fait effectivement lit, trois heures plus tard, fumant des clopes et buvant du thé. Elle ma en effet confié dans un grand sourire quelle adorait boire du thé après lamour. Ok je lui avais répondu. sonnerie. Ah, enfin, il était temps que je me réveille quand même. Jai pas beaucoup bossé aujourdhui et Vlad doit simpatienter de pleurer un bon coup depuis le temps quil est au bord de sa crise. Et puis non, ça vient de sa porte à elle. Une petite lueur de surprise se dessine sur ses sourcils, elle se lève, enfile vite fait ma grande chemise et va ouvrir. Je suis caché par un recoin de mur et jentends immédiatement Ania pousser un petit cri de surprise, ou de joie, ou de peur. Je ne sais pas trop. Jentends parler. Une voix dhomme. Un fort accent africain. Parfois, on dirait que cest même pas en français. Ania a un ton permanent dexcuse et je lentends dire quelle ne veut pas quil voit son appart passquil est tout petit et quest-ce quil va penser delle en voyant cela et quils devraient plutôt aller faire un tour au Jardin des Plantes par exemple. Il finit par entrer quand même. Il est énorme et en me voyant tranquille, fumant un clope, à poil dans un canapé-lit, je pourrais écrire que son sang ne fait quun tour. Il se jette sur moi dans un grand hurlement fauve. Jai juste le temps de faire un roulé-boulé sur le côté. Côté sol évidemment. Je me retrouve donc la gueule par terre, à poil, la clope bien tenue en lair pour pas brûler la moquette. Surtout ne me demandez pas doù peut bien mêtre venu ce réflexe ridicule. Jentends un grand bruit. Cest lénervé qui se vautre sur le canapé. Un autre grand bruit. Le convertible a cédé. Le grand noir a été bien plus fort que ce double suédois et teck et mousse. Et puis plus rien. Je commence déjà à me relever prestement pour éviter la deuxième salve et je vois Ania, dans lentrebâillement de la porte, les deux mains sur la bouche et les yeux grands ouverts fixant un point juste à côté de moi qui doit correspondre, grosso modo au canapé refermé. Il nest pas refermé mais cassé ; le problème étant que lami africain, en sautant, a défoncé plusieurs lattes et le mécanisme de fermeture. Mais le vrai problème, cest que ces lattes cassées et ce système de fermeture lui sont entrés dans les flancs et quil est en train de me regarder bêtement, un petit filet de sang lui coulant de la bouche. Il est tout replié, adoptant la forme du canapé. Ania na toujours pas crié et je sens que je vais peut-être le faire avant elle. Sonnerie. Oh, sonnerie. Allez maintenant sonnerie ! Sonnerie bordel