Retour aux sources
Prendre le taureau par les cornes
Cette expression neffrayait plus Balto, non. Dabord parce que cela ne serait plus mal interprété par un smilodon rôdant aux alentours des anciens abattoirs, ensuite parce que sa phobie des bêtes à cornes appartenait désor-mais au passé.
Il ne put se retenir den sourire. Il souriait beaucoup depuis quelques temps. Cétait bon signe.
Fermement décidé à prendre également le bon wagon, Balto sapprêtait à sauter dans le train en marche. Il navait fait que sendormir dans un hall de gare, après avoir raté sa correspondance
Regrimper dans larbre de vie et saccrocher aux branches, au risque de sy égratigner la paume des mains, aurait dit ce cher Tiburce. Remonter la pente, repartir à zéro, oui, pour arriver à quelque chose qui séloignât de ce néant quil avait trop souvent côtoyé. Ne plus avoir honte dexister, se réha-biliter enfin. Ayant longtemps stationné au pied de léchelle, il comptait en atteindre le sommet sans en dénombrer les barreaux, les yeux fermés, afin dy demeurer perché jusquà la fin
Et si un craquement attestait dune usure du bois, il simulerait la surdité. Rien ne pouvait lempêcher de revivre, pas même un pied cherchant un appui fuyant sous la semelle. Là-haut, le panorama y serait très certainement
vivifiant. Ses paupières lâcheraient du lest et son regard embrasserait un avenir tellement plus reluisant que son passé récent ! Certes, le vertige ly attendait, mais il tiendrait bon, saccrocherait aux branches
De plus, il avait du retard à rattraper, et cela impliquait de stabiliser son équilibre au plus tôt, de remettre SA pendule à lheure.
Pour le côté symbolique de la chose, il reprendrait le cours normal du temps dans ce couloir dobscurité où tout avait commencé : le tunnel qui mène tout droit à lemplacement des anciens abattoirs de Langogne. Et au-jourdhui
vers la lumière !
Modestine lui avait aimablement proposé de sinstaller chez elle, en atten-dant. En attendant quoi ? Son retour ? A la mort de ses parents, elle avait hérité avec Tiburce de la maison familiale, mais ils avaient refusé de concert. Elle avait préféré acheter une petite maison bâtie au cur de la campagne aixoise, où elle soccupait danimaux abandonnés. Son frère, lui, était resté à Marseille, ville quil appréciait surtout pour la poésie de son soleil qui, à lheure du crépuscule, se baignait dans la mer, avant dêtre englouti par lappel du large.
Le séjour de Balto sur ce monde de grisaille avait été trop bref pour altérer la couleur de sa peau. Il avait offert la clef spatio-temporelle à Modestine, qui avait choisi de demeurer sur Rhéal. Peu à peu, son teint devenait grisâtre, et celui de Traknar virait carrément au rosé, bien quil ne se rendît que très rarement sur la Planète Bleue.
Elle se sentait à laise en ces lieux, comme une résidence secondaire où il fait bon vivre quand on est à la retraite. Son attitude évoquait une orpheline qui découvre une nouvelle famille. Le dernier des Rhéaliens y avait mentalement conçu un habitat en forme de chalet suisse, à limage de ce que souhaitait la Terrienne. Ces désirs avaient été des ordres, semblait-il. Dévidence, lapparente fragilité de cette Française cinquantenaire le séduisait, dans la mesure où le nanisme dont elle était atteinte et son âge relativement avancé pour un esprit terrien, ne signifiaient rien, strictement rien dans le sien. Sans parler de ses yeux bleus, qui symbolisaient cet azur où il ne sétait jamais baigné, ni englouti, avant de franchir les portes
Ce cube approximatif de rondins de bois mal empilés et dont la coloration évoquait plus lacier que lécorce dun arbre, avait été « créé » à une distance respectable des tentes destinées aux légionnaires. Des bungalows dé-montables abritaient les sommités scientifiques. Les mercenaires, hommes et femmes fraîchement recrutés, se tenaient à lécart des « képis blancs », quils ne fréquentaient pas, les jugeant trop franchouillards. Mais tous faisaient la navette entre Vlakastrakna et la Terre, craignant de ternir leur épiderme sils séternisaient sur cette pâle copie de la planète mère. La comparant à un « globe momifié », daucuns lui octroyaient un sobriquet de son cru : boule fantôme, astre de suie, étoile sans lumière
Ainsi le nouvel arrivage se pointait-il, chaque élément de la troupe arborant un regard dur et froid, et lon se gardait de juger la situation dune autre façon que sous laspect de leur mission. Parfois, un embouteillage bloquait le seuil immatériel dun sas spatio-temporel, et lon en profitait pour laisser fuser des noms doiseaux qui, paradoxalement, détendaient latmosphère.
Fidèle à ses origines, lhomme gris, quand il ne sagitait pas, dormait mé-taphoriquement à la belle étoile. Car, nonobstant cet il glauque représen-tant un soleil anémié, ce ciel doutre-tombe incarnait plutôt la peau dun éléphant sur le point de mourir. Sur Rhéal, la température ambiante ne changeait jamais ; en revanche, elle sadaptait à la chaleur corporelle de chacun. Tel le rémora sur un requin, elle se collait à vous, donnant à votre chair limpression de mijoter dans la chaude marmite du ventre maternel
De toute façon, ici, pas le moindre vent nen caressait les reliefs tronqués, nulle pluie ny mouillait le sol moquetté de suie
Juste avant de partir, Balto avait remarqué que Traknar gesticulait, aux prises avec un légionnaire assez imposant, ma foi
Un géant blond qui, apparemment, était réticent aux injonctions. Certains ne reconnaissaient aucun pouvoir à ce pantin cendré dont on apercevait, sans être forcément observateur, les organes internes par transparence. Vue de loin, la scène était burlesque ; on aurait dit lextrait le plus comique dun film muet, à lépoque de Charlie Chaplin, alias Charlot. On pensait tout de suite à « Laurel et Hardy » ; et là, Stan Laurel éprouvait les pires difficultés à communiquer avec cet Oliver Hardy barbu.
La querelle avait eu lieu au pied de lîle suspendue au sommet de laquelle avait été parqué le Grand Karnass. Après avoir vérifié quaucune porte ne souvrait dans lunique galerie, ils en avaient clos laccès au moyen de ro-chers terriens, dont le moins gros pivotait afin que lon puisse nourrir la bête. Régulièrement, un volontaire y amenait un bovin, que lon abandonnait aussitôt dans lobscur boyau de la mort. Ensuite, les cris de douleur se mêlaient aux grondements caverneux
mais personne ne les entendait. Le smilodon, affamé, squattait la galerie, attendant que soit « larguée » la viande, et lon faisait très attention à ne pas faire une fausse manuvre car, si le tigre géant séchappait, on serait obligé de labattre avant de lavoir étudié.
Domestiquée, Lilith vivait en liberté aux côtés de Modestine et se souciait fort peu de la proche présence de son père
La Terrienne insistait pour que lon ne qualifiât pas le Grand Karnass de géniteur devant sa fille, car elle considérait que cétait là une marque dirrespect et de désintérêt. Les mili-taires faisaient la gueule mais obtempéraient.
La dispute avait probablement un quelconque rapport avec cet animal dont tout le monde saccordait à dire que ses canines ressemblaient à des défenses de morse. Les légionnaires, refusant son nom officiel qui, à leur goût, sonnait trop comme un grade, lavaient rebaptisé Dracula.
Pour couper court, Modestine avait embrassé tendrement Balto, détournant son attention. Elle lui avait solennellement intimé de ne rien révéler sur Terre, de garder le secret, puis lavait raccompagné sur le « pas » de cette porte naguère empruntée par le Grand Karnass, tandis quil surgissait dans le « tunnel des abattoirs », à Langogne, plus de quarante ans auparavant.
En passant sous le « chambranle » invisible, il avait eu lopportunité de lire de linquiétude dans le regard de la sur de Tiburce. Elle paraissait subite-ment pressée quil sen aille, comme si un danger le menaçait et quelle cherchait à le protéger en précipitant son transit. Lisolait-elle dune catas-trophe, en le renvoyant plus tôt que prévu sur leur planète dorigine ?
Si Balto avait possédé le don télépathique de cette femme, nul doute quil aurait pris la liberté de décrypter son « courant de pensées ». Craignant dimploser, il aurait au préalable tamisé ces ondes cérébrales dont la fré-quence développait une puissance démission capable de saturer le plus so-phistiqué des récepteurs. Comparé à ce quelle lui avait confié, il avait dailleurs remarqué que son pouvoir se développait sensiblement au contact de Traknar. Se contentant jadis déchanges privilégiés avec son frère, elle avait évolué au point de visiter les cerveaux quelle mettait en joue, chasse-resse au mental exacerbé. Et maintenant, la voilà qui hantait des cervelles réputées hermétiques, prenait dassaut les forteresses de lesprit les mieux armées
Elle évoquait un ventriloque qui, pour dialoguer, se servirait de ses synapses à la manière dun sonar. Peut-être même parlait-elle aux animaux, tel le pittoresque docteur Dolittle. Sur Rhéal, hormis la mascotte et le prisonnier, il ny en avait pas, et cétait peut-être là le véritable motif de son refus de retourner sur Terre, car les bêtes en savaient tellement sur les Hu-mains, avec lesquels ils avaient de plus en plus de mal à cohabiter, quils avaient préféré, au fil des siècles, devenir muets. A moins que leur silence radio ne fût un leurre
pour avoir la paix et taire des vérités pouvant savérer dangereuses pour un bestiaire exposé à des représailles. Si, bien sûr, les Humains étaient équipés pour assimiler les réflexions et les reproches qui leur étaient destinés.
Il naurait su expliquer comment, mais il avait tout de suite deviné quil avait été ramené sur Terre très peu de temps après son arrivée précipitée sur le rocher plat en forme de galette de pierre. Les nuages avaient la fièvre, et le ciel orageux paraissait un couvercle posé de traviole sur une casserole deau dont le cul était chauffé au lance-flammes. Il hésitait, se demandant sil nétait pas préférable, avant de partir, dattendre que larc-en-ciel tirât sa dernière flèche irisée, ou sil ne valait pas mieux déserter immédiatement la région, pour tenter de tout oublier rapidement
ailleurs. Un comble pour quelquun qui vient tout juste de recouvrer la mémoire, non ?
Le passage dun train, qui secoua la voûte du souterrain, lui agressa les tympans, et il décida de sortir sous la pluie. Il fut mitraillé par les gouttes, mais cela lui procura un bien-être non négligeable. A peine avait-il parcouru une trentaine de mètres que laverse cessa. Cétait dimanche, puisquil en-tendait des cloches révélatrices dune fin de messe. Mais était-ce celui du jour de son départ pour le monde parallèle ? Naurait-il donc passé que deux ou trois heures sur Rhéal ? Lui avait-on concocté un retour savamment dosé, afin quil ne paniquât pas trop à lissue de ce dépaysement subit ? Etait-ce une étroite parenthèse ouverte et refermée le temps dune respiration ? Dévidence, les migrations spatio-temporelles se maîtrisaient parfaitement dorénavant.
Doù il se tenait, à quelques pas de lHôtel de la Gare dont les Beltoise et les Barnouin avaient été de fidèles clients, il avait tout loisir de zieuter les touristes qui patientaient sur le quai de la gare, tous au garde-à-vous, sennuyant avant de monter dans le train touristique des Gorges de lAllier. Présentement, le convoi stationnait sur une voie de garage. Ils avaient pour-tant lair dêtre ravis de buller enfin à lair libre, lorage les ayant contraints de squatter un hall impersonnel dont les effluves de vieux mégots leur avaient vaguement rappelé les interminables queues aux guichets de la Poste.
Balto navait pas dargent, mais voyager incognito, cétait devenu sa spé-cialité à Marseille. Cela précisé, jusquà aujourdhui, il navait jamais fraudé sur les longues distances, lauto-stop layant à maintes reprises aidé à ne pas abuser. Mais hélas, pour atteindre la destination prévue, Langeac, un im-portant détour par la route du Puy-en-Velay simposait, aucune départe-mentale ne longeant lAllier à cause dune géographie chaotique et sauvage. Nayant pas la chance de voler comme une buse ou un circaète, il prendrait donc ce train jusquà Langeac, à la manière dun passager clandestin qui na pas peur de se montrer.
Cétait un sacré baptême, ma foi
lunique fois où il oserait tricher dans un transport en commun différent des bus marseillais. Il devrait se faire petit car, au premier abord, son aspect négligé ninspirait guère confiance ni au second, dailleurs.
Poursuivant son itinéraire de fraudeur pressé, il monterait plus tard dans un train de la grande ligne, en direction de Clermont-Ferrand, espérant ne croiser aucun contrôleur, puis ferait de lauto-stop jusquà Comblessac. Ce serait plus prudent : il navait pas envie de finir en taule. Mais qui oserait mettre Superman derrière les barreaux, hein ? Personne naurait la force et le courage de ly enfermer, car rien ne résistait à son désir dévasion, pas même un parasite cérébral, nest-ce pas ? Oui, mais Superman aurait pu survoler les Gorges de lAllier, lui !
Nul ne sen doutait, mais son intervention avait sauvé et sauvera
du monde.
Et puis, Gwendal Kerjean le lui avait clairement dit, lorsquils sétaient quittés presque à contre-cur : « Viens me voir quand tu veux, jaurai peut-être quelque chose pour toi ! »
Balto avait ébauché une moue dubitative, tant il était persuadé quils ne se reverraient jamais.
Il se trompait lourdement.
Balto était attentif au discours du guide vocal qui sexprimait dans un micro dont le bon fonctionnement était épisodique. On ne captait que la moitié des phrases, et le reste du temps, il fallait tendre loreille. Dans le wagon, les baffles « crachotaient » un peu ; malgré cela, cet homme au timbre ingrat parvenait à communiquer sa passion de la région. Des gosses pleuraient, des ados sennuyaient ferme, des adultes supportaient tout, dautres non, qui râlaient inutilement. Lorganisation était archaïque mais fort sympathique : en tout cas, cétait suffisant pour donner envie aux curieux de se plonger dans les bouquins traitant de la Lozère et de la Haute-Loire.
Balto avait surtout été impressionné par la longueur du viaduc de Chapeau-roux ; il pensa que seul un croque-mort ou un cancrelat pouvait rester de marbre devant la beauté sauvage de ce panorama. Cétait un spectacle à re-commander aux blasés du train, dont il avait longtemps été larchétype. Tunnels et viaducs se succédaient à un rythme denfer, et le convoi ralentis-sait régulièrement afin de permettre aux passagers dadmirer loriginalité des roches basaltiques ; lAllier qui serpentait, parallèle à la voie ferrée, au fond du vallon ; les châteaux en ruines perchés sur des promontoires naturels, la plupart datant du Moyen-âge ; un barrage hydraulique conçu pour permettre aux saumons de remonter la rivière en période de fraye
On photographiait, mitraillant les sites, certains se mettant carrément debout devant les fenêtres, ce qui dérangeait les paparazzis du dimanche assis du mauvais côté. Des photos seraient voilées, des souvenirs mitigés semmagasineraient dans les mémoires
Mais peu importait, car cela faisait partie intégrante des aléas du tourisme. Des disputes pimentaient le voyage, toutefois rien de grave ; Balto, qui se tenait en retrait, faisait semblant den sourire.
Tout à lheure, trop occupés à achever dans les meilleures conditions leurs vacances estivales, les voyageurs navaient pas remarqué que cet individu, là, qui arborait la dégaine débraillée dun Don Quichotte dopérette, eh bien
cétait Superman ! Mais lorsquil était monté dans le wagon de queue, daffreux gamins lavaient montré du doigt en pouffant comme des hyènes. Heureusement, leurs parents les avait souverainement ignorés
Braves gens !
Le court déplacement commençait plutôt mal. Mettant le nez contre la vi-tre, il avait en effet constaté que même un tank aurait peiné pour avancer dans un tel amoncellement de rochers, déboulis, de forêts de résineux et dà-pics vertigineux. Lorsque le train touristique ralentit pour franchir le viaduc de la Madeleine, il sut sans que le guide ne sexprimât pour nommer lendroit, que Titi avait été « défenestré » ici. Il éprouva subitement un vio-lent sentiment de haine. Il se mit à suer, et des frissons dressèrent ses poils gris, contraste anatomique révélateur dune angoisse profonde et incontrôla-ble. Ses joues sempourprèrent, tel un serial killer sur le point de commettre un crime. Une boule se noua dans sa gorge, il serra les poings à sen briser les phalanges. Ses dents claquèrent, mais les hurlements des bambins indis-ciplinés masquèrent ce bruit sec et saccadé démail maltraité. Le malaise se dissipa.
Le responsable de ce meurtre courait encore. Etait-il protégé par son statut dancien légionnaire ? Avait-on eu peur, en larrêtant, douvrir la porte des confidences ? Les autres auraient-ils lâché le morceau aux médias, parlant sans restriction de ce dont ils étaient témoins quotidiennement sur le monde gris ? Etait-ce un chantage ? Un complot ourdi à léchelle nationale ? Depuis le temps, et avec tant de preuves dévoilées, comment cet homme avait-il pu disparaître comme par enchantement, sans jamais être inquiété par la suite ? Sétait-il faufilé sur le monde gris, pour sy fondre, caméléon humain impossible à détecter ?
Balto navait plus vraiment envie de contempler le paysage. Des visions le harcelaient.
Il se voyait descendant du train en marche, pour réceptionner au vol son vieux pote Tiburce normal, puisquil était Superman. Quelquun lavait éjecté du wagon, et il était intervenu avant que la tête du contrôleur ne se fracassât contre la tôle, ou que son corps sécrasât entre les roues du mons-tre de fer. Il ne risquait pas de se rompre les os, lui, non, puisquil était S
Le légionnaire, derrière la vitre, le narguait, lui faisant « bye bye » de la main. Mais quelle arrogance ! Comment osait-il braver le courroux dun super héros ?
Il se voyait surgir derrière lancien « képi blanc », tandis que Tiburce lui demandait son titre de transport, et limmobiliser alors que lagresseur ébau-chait un geste menaçant, sapprêtant à empoigner ce corps si frêle revêtu de la tenue réglementaire de la SNCF
Il se voyait en
et le légionnaire hurlant de peur, après quil eût fait volte-face à la vitesse de léclair, et
Ce cri déchirant
Quelquun tire la sonnette dalarme
Balto descendit à Langeac, patienta cinquante bonnes minutes avant lentrée en gare dun train de la grande ligne, le « Cévenol », sa correspon-dance pour Clermont-Ferrand, et
Il était arrivé à Comblessac après avoir changé trois fois de « cornac ».
Il lui fallait maintenant dénicher le Bock dOr, la brasserie de Gwendal Kerjean.
Parvenu à destination vers deux heures du matin, Balto sétait assoupi sur un banc public, dans un square. Inconstante, la lune ressemblait à la lentille figée dun vieux phare submergé par les embruns. Des chauves-souris aux trajectoires aléatoires tricotaient dans le ciel un chandail de nuit aux mailles trop larges. Il faisait doux. Il avait paradoxalement dormi dun sommeil dé-serté par les rêves. A laube, lorsquil sétait mis debout, il navait ressenti aucune douleur articulaire, pas le moindre craquement suspect
Il avait été surpris de ne pas entendre un coq lancer son contre-ut cocardier de crécelle rouillée. Ny avait-il donc pas de gallinacés à la crête empanachée dans cette région ? Mais qui gardait les poulaillers alors ? Des chiens ? Il y en avait qui aboyaient au loin, mais cétait sans doute pour effrayer un chat, pas pour éjecter du pieu des paysans aux paupières plombées.
Il avait faim. Un adepte du footing matinal le renseigna au sujet du Bock dOr. Cétait juste à deux pâtés de maisons de là
Il sy rendit dun pas alerte. Il avait envie dun café bien chaud et très sucré. Peut-être un croissant ou deux, selon lhumeur de Kerjean, avec qui il avait déjà gueuletonné, là-bas, dans la Forêt de Mercoire
Il savait que cet homme avait le cur sur la main ; et ce cur était si gros, prenait tant de place, quil ne risquait pas de laisser pousser un poil de paresseux au centre dune paume.
Lenseigne était cynique à souhait, et très originale. Certains pouvaient assimiler cet humour décalé à du mauvais goût, le trouver vulgaire et déplacé, mais ceux-là navaient quà aller boire ailleurs ou changer de trottoir. Ce nétait tout au plus que de la surcharge de fioritures, quelque chose dassez gothique, et cela avait été conçu pour plaire à une clientèle ciblée
Rien de sectaire là-dedans ! Au contraire, il suffisait que les esprits soient ouverts, un point, cest tout ! Et ce nétait pas gagné davance !
Elle représentait un druide vêtu dune toge visiblement tissé de fils dor et qui tenait dans sa main gauche le Saint Graal. Il y introduisait avec son autre main un cercueil entrouvert, doù séchappaient quelques précieuses pépites rondes comme des billes. Auréolées dun anneau de lumière, selon langle de vision, elles évoquaient soit la planète Saturne en miniature, soit la face dun saint
Juste au-dessus, au sein dune bulle de bandes dessinées, le druide sexprimait en lettres dorées :
Ici la mise en bière vous rend la vie plus belle
Le Breton avait reçu Balto à bras ouverts, mais non sans sétonner de sa présence en Armorique. La brasserie sentait bon le café, et cétait une am-biance idéale pour attaquer une nouvelle journée. Seulement quarante-quatre heures sétaient écoulées depuis que le binôme sétait dissocié à Langogne. Il navait pu sempêcher de sécrier : « Déjà toi, Balthazar ? Mais tu mas suivi
»
Balto avait ébauché un sourire gêné qui en disait long sur son état desprit. Sa nouvelle foi en la vie lui faisait prendre des initiatives précipitées, et de-puis, il avait le plus grand mal à maîtriser cette soudaine frénésie. Il lui fallait réapprendre à vivre en canalisant ses efforts. Ce nétait pas une mission impossible, et pas forcément un défaut !
Sa promptitude à réagir pouvait également cacher une soif den finir avec les détails de son vécu, car plus il avançait dans lavenir, plus le présent de-venait précis dans la reconstitution du puzzle de son passé
Durant le voyage, il avait littéralement abreuvé de paroles en lair les trois aimables conducteurs qui lavait véhiculé. Les égoïstes, eux, avaient pris la poudre descampette à la vue de ce clodo égaré au bord de la route. Ils avaient appuyé sur le champignon, se souciant fort peu des limitations de vitesse, comme si ce mec pouvait les rattraper à la course, pour les punir. Non assistance à personne en danger, cela méritait perpette. Décidément, il était un super héros pour tout le monde, depuis quil avait quitté Marseille pour venir se ressourcer en Lozère ! En effet, les fuyards méritaient un châ-timent exemplaire
Les autres, les gentils, seraient récompensés. Ils dormiraient mieux
Mais ils avaient supporté les risques du métier de Bon Samaritain.
Certes, Balto ne sentait pas la rose, mais on préférait ne pas soulever le problème, car les altruistes ne se permettent pas ce genre de réflexion, nest-ce pas ? Ce nétait quun mauvais moment à passer ; de plus, cétait lopportunité davoir la conscience tranquille pour longtemps. Cétaient de bons Chrétiens, oui, des âmes charitables ! Sans omettre que cétait un hon-neur de prendre Superman en stop. Il avait eu de la chance
les héros de légende ont toujours de la chance. Dailleurs, pourquoi ne jouaient-ils jamais au Loto National, hein ? Et le gentil Don Quichotte, inscrirait-il Rossinante, sa monture, sur la liste des participants au Prix dAmérique, le championnat du monde des trotteurs ? Et parierait-il sur elle ?
En Bretagne, tout est plat et verdoyant, et le crépuscule souligne labsence de relief en ébauchant des reflets fluctuants et roux sur cette mer de chloro-phylle. On dirait la chevelure de feu dune walkyrie qui bronze sur une pe-louse ; fixant les nues du Walhalla, elle implorera la clémence dOdin, son père, afin quil lui pardonne cette paresse passagère. Les ombres y semblent irréelles, comme si des êtres maléfiques étaient tapis sous les mottes, dessi-nant du bout des doigts leurs propres contours dans lherbe fraîche. Ce jour-là, la météo faisait la nique aux idées reçues : il ne pleuvait pas, mais il était clair que chaque mètre cube dair pur était hanté par un fantôme bruineux. Cet après-midi, le soleil avait été voilé par une fantomatique barbe à papa, et si pâle quon laurait cru sur le point de rendre lâme. Par la vitre, Balto avait cherché à apercevoir dolmens et menhirs, moignons de géants enterrés vivants, pour les comparer aux rochers basaltiques dArdèche et de Lozère, mais avait surtout remarqué des « gens du cru », comme les autres, vaquant à leurs occupations
La Bretagne nest donc pas seulement un vaste parc où les monolithes moissonnent des légendes dans les champs où paissent des vaches normandes au pelage de chien dalmatien ! En revanche, des esprits noirs et des fées blanches y font la paix en squattant le cuir de ces bovins à damier.
A cent kilomètres de Comblessac, Balto sétait endormi et avait rêvé. Mo-destine le suppliait mentalement de revenir durgence sur Rhéal. Elle lattendrait sur la « galette de pierre », pour ouvrir le sas
Lilith sétait ré-voltée ; ayant pour une obscure raison viré de bord, elle avait libéré son père, le Grand Karnass. Depuis, cétait la curée dans les rangs des bipèdes en treillis. Le couple avait ensuite franchi les portes souvrant dans lère quaternaire et en avaient ramené des congénères. Smilodonia allait être fondée par des tigres à dents de sabre qui sapprêtaient, dans la foulée, à envahir la Terre.
Il sétait réveillé en sursaut, sauvé par le conducteur, qui le secouait sans ménagement. Après dix heures de route, en comptant les « escales », les premières maisons de Comblessac étaient enfin visibles dans le lointain. Elles dessinaient des ombres chinoises sur lhorizon comme Balto les aimait.
Lhomme lavait regardé bizarrement.
Vous avez parlé en dormant, msieur.
Ah oui ? Et jai dit quoi ?
Cest la fin du monde ! Les smilodons, ou smidolons, sont là ! Mais cest quoi un smido
un smilodon, msieur ?
Ah ça, je lignore.
« Alors, vieux, toi aussi tu quittes une forêt lozérienne pour rejoindre une forêt bretonne ? »
Kerjean navait pu sempêcher de faire un parallèle avec lhistoire de Quentin Duvalier, alias Tintin, le bûcheron à la retraite de Saint-Flour-de-Mercoire. Lapparence du nouvel arrivant avait dévidence changé, rajeuni, mais le Breton encaissa le choc sans sourciller. Il enchaîna à brûle-pourpoint :
« Tu dois en avoir des choses à me raconter, hein ? Au fait, mec, cest marrant les coïncidences, tu sais ? Quentin est mort
il sest suicidé. Il sest pendu. »
Kerjean avait lâché linformation froidement, comme une urgence. A limage de Balto, il semblait pressé demprunter des raccourcis, daller sans tarder droit au but
De toute façon, au contact de cet homme dont laspect physique rappelait Don Quichotte, le chroniqueur de sagas déjantées avait endossé la panoplie du « grand reporter ». Après tout, peut-être Balto avait-il besoin dun com-pagnon pour combattre des chimères, des moulins à vent ensorcelés ? Et il sera venu ici pour le recruter, lui, Gwendal Kerjean, dont le profil devait correspondre pour parfaire léquipée sauvage et de mettre la touche finale au tableau ?
Balto ne se rappelait pas sils sétaient tutoyés dès le début de leur ren-contre, mais se remémorait clairement le bivouac et ce monologue que le campeur breton avait débité comme sil écrivait une chronique, là-bas, dans la clairière de cette satanée Forêt de Mercoire. Même les animaux lécoutaient, le silence de cathédrale qui régnait sous la futaie lattestant. Il avait été bien plus volubile que son comparse, dont la discrétion provenait possiblement dune timidité maladive. « Cétait le bon temps ! » se surprit-il à déclarer, alors quà peine deux jours avaient été crayonnés sur le calendrier depuis quils sétaient séparés à Langogne, à proximité de lancienne halle aux grains, où sinstallait le marché tous les samedis matins.
Alors, Balthazar, sais-tu enfin pourquoi tu te rendais à Langogne ?
Hélas non.
Il mentait effrontément
mais cétait pour la bonne cause. Aussi son nez ne sallongea-t-il pas.
Ce fut linstant choisi par Merlin pour faire une entrée fracassante. Sempressant de lui prouver quil se souvenait de lui, il dérapa sur le parquet ciré et glissa sur toute la longueur du bar, renversant deux chaises et déséquilibrant quelques verres. Par bonheur, ils ne tombèrent pas de la table quil avait ébranlée au passage ; ainsi avait-on économisé moult coups de balai. Après sêtre ressaisi, de petits jappements en gros coups de langue, le labrador fit sentir au revenant quil était content de le revoir
Comme dhabitude, sa queue sagitait à la manière dun métronome. Il réclama des caresses et obtint gain de cause.
Kerjean lui avait présenté Maeva, une ravissante métisse coiffée à lafro et dont la cambrure était troublante. Le plus sexy des toboggans de lamour, songea Balto. Elle sétait cantonnée jusque-là derrière le comptoir, en retrait, et les dévisageait, attendrie par ces retrouvailles
anticipées. Deux frères qui se retrouvaient après avoir été longtemps fâchés.
Je lui ai parlé de toi, vieux. Lui ai dit que tu mas soigné comme un chef dans la clairière. Une vraie petite infirmière. Ne te manquait que la blouse blanche
avec rien dessous, mon salaud !
Ils avaient éclaté de rire. Celui de Maeva était franc, sonore
Un quidam se tenait assis à la table du fond et les observait, tenaillé par lenvie de connaître le motif de cette hilarité subite
Il se contenta de commander un autre verre de blanc.
En tout cas, comment as-tu fait pour autant changer en si peu de temps ? On dirait que tu es parti en cure de rajeunissement. Cest la Forêt de Mer-coire, hein ? La légende est vraie, nest-ce pas ? Ty étais pour retrouver tes vingt ans, avoue ! Jai limpression que tu mas joué la comédie du clochard paumé là-bas, non ? Tu cherchais à mamadouer, hein ? Et mon agresseur, tu ne laurais pas retrouvé, par hasard ? Maeva, ressers-nous une tournée. Balthazar, viens, jai un truc sérieux à te faire écouter. Cest grave. Tiens, finalement, tu ne pouvais pas mieux tomber
A larrière de la brasserie, ils avaient grimpé les marches dun escalier aux marches suées, pour atteindre lappartement de Kerjean, qui était situé juste au-dessus de la salle de bar. Maeva ne les avait pas quittés des yeux, visi-blement émue.
La fenêtre du salon se trouvait à côté de lenseigne contestée. Le soir, elle devait clignoter et allumait des feux follets dans la pièce
De retour chez lui, samedi soir, il avait écouté son répondeur téléphonique : un message de Quentin y figurait. Un message incompréhensible, tant la voix était rauque, cassée, irrégulière. La voix de quelquun en proie à une panique incontrôlable.
Il disait :
« Gwendal, tes pas là ? Ecoute
je sens que ça vient
mais en retard. Je souffre, je me transforme, mes gencives me font mal, cest horrible. Le temps, là-bas, dans la Forêt de Mercoire nest pas le même quailleurs. Jai bu la résine, le sang de larbre
Tu te rappelles ce que je tai dit ? Jy ai goûté quand la Lolo a
Une porte spatio-temporelle sest ouverte à deux pas quand jy étais avec elle. Il y a près de cinquante ans de ça, et là, jai limpression que mon propre sang me cause. Je suis décalé. Là-bas, dans la Forêt de Mercoire, jai baigné dans le temps rhéalien. Un demi-siècle de décalage. Mon sang a mis un demi-siècle pour se transformer, et il me cause, tentends ? Tout évolue dans ma tête, je ne comprends pas. Jai limpression de savoir ça depuis toujours, et pourtant, quelquun me le dicte mentalement. Et je déballe linfo maintenant, comme si je lavais toujours su. Mon sang me cause, oui. Je suis là, Kerjean, dans la Forêt de Brocéliande. Quelque chose my a attiré. Cest affreux, je viens détrangler un mec qui se baladait
et là, je vais
une
»
Le regard de Kerjean devint flou.
Cest étrange, non, Balthazar ? Lheure du coup de téléphone correspond au moment où je te parlais de la terrible épreuve quil a vécue dans cette forêt du Diable, avec sa fiancée, Laurence Mergault
Pauvre femme !
On entendait un grognement étouffé. Succédant à un feulement de gros chat, un grondement terrible de lion, ou de tigre, retentissait
On avait limpression quun animal exprimait sa haine à plusieurs étapes de sa crois-sance, de son évolution vers la taille adulte. De miaulement de chaton à ru-gissement de fauve. Le bruit sec et définitif de mâchoires qui claquent, sapprêtant à se refermer sur la nuque ou la gorge dune proie, technique différente selon lespèce prédatrice. Non, ce nétait pas une évolution, plutôt une métamorphose !
Dabord un hoquet de surprise, avant un cri de femme terrorisée, enfin le hurlement déchirant dun être qui souffre atrocement
Sans doute la même personne.
Puis plus rien. Silence radio.
Kerjean lui avait ensuite montré la une du journal local daujourdhui :
Deux corps massacrés découverts dans la Forêt de Brocéliande : la légende montre les dents
Un randonneur avait découvert deux cadavres, dont lun avait été à moitié dévoré. Un homme et une femme. Lhomme avait été étranglé, et la femme égorgée puis carrément dépecée du cou jusquau bas-ventre. Sa tête avait par la suite roulé sur le côté, loin des jambes. Des restes dentrailles baignaient dans une mare de sang.
Le journaliste avait écrit :
Un zoologue affirme que les morsures sont luvre dun tigre ou dun lion, mais comme il ny a pas de fauves de cet acabit dans la région, ni de cirque de passage, on pense à un lynx
Un autre témoin affirmait avoir vu une panthère noire. Chacun y allait de son fantasme, et les loups refaisaient surface, bien que les bergers se fissent plutôt rares en Armorique.
Un torchon avait titré :
La Bête du Gévaudan a migré dans lespace et le temps : elle sé-vit désormais au pays de la Dame du Lac
Et pourquoi pas un tyrannosaure ? Ou le monstre du Loch Ness ?
Les médias se focalisant sur létat de la jeune femme, un élément de lenquête avait été mis au placard : un animal nétrangle jamais !
Une femme éviscérée faisait plus vendre quun mec étouffé, apparemment !
La Police navait certainement pas négligé ce détail, elle
Les intérêts nétaient pas les mêmes !
On avait retrouvé Quentin Duvalier pendu au lustre de la cuisine de son studio. Un tabouret était renversé, comme un scarabée mort. Il navait pas pris la peine de se changer avant de se donner la mort et du sang maculait sa chemise, son pantalon
Cétait celui de la jeune femme.
Un mot trônait sur la table. A la hâte, y avait été écrit au feutre rouge :
Un démon ma volé mon amour, jai raté ma vie, pris une re-traite dexilé, mais je réussirai ma mort
Que Dieu me pardonne et que lEnfer me soit doux !
Balto nen avait pas cru ses oreilles ; mais là, ses yeux ne le leurraient pas. Ses doigts froissaient nerveusement le papier de la feuille de journal. Il nosa piper mot, et Kerjean laccompagna au cur dun mutisme néanmoins bavard.
Pour changer détat desprit et rendre latmosphère plus respirable, Kerjean avait remis au goût du jour les reportages infructueux effectués à Naussac et à Chapeauroux. Il avait constaté que Balto sy était lâché, posant des ques-tions aux « gens du cru » sur une affaire qui ne concernait en aucune façon létude sur les légendes locales. Il sagissait de la mort atroce dun certain Tiburce Barnouin. Oui, cétait loccasion rêvée pour en parler, là, mainte-nant, mais Balto avait fait un signe explicite de la main, signifiant que cela navait plus aucune importance.
Il navait jamais autant menti de sa vie !
Les jours avaient défilé, au pas cadencé. Kerjean était un homme de parole. Maeva était jolie, et Balto reprenait progressivement figure humaine. En deux semaines, grâce à la métisse, il était redevenu un homme présentable, respectable. A tel point quil paraissait dorénavant dix ans de moins
mais il avait vingt ans de plus quELLE !
Il travaillait à la brasserie, leur donnant un coup de main pour la comptabi-lité.
Vint le jour de son premier anniversaire en terres armoricaines on ne le lui avait plus souhaité depuis une éternité. Cinquante et un ans au compteur, cela se fêtait dignement, et à la dimension de lévénement, non ? Martine ny avait jamais pensé, elle
Non, elle nen connaissait pas la date, cétait un mauvais procès. Lui-même lavait ignorée pendant longtemps la date, pas Martine, nest-ce pas ?
Maeva lui avait offert une montre, et Kerjean un baladeur MP3, avec un CD pour « dépuceler » le précieux objet. Cétait la Symphonie « cévenole » de Vincent dIndy. Le Breton, bien quil ne fût pas pianiste, connaissait la musique sur le bout des doigts. Cétait, ma foi, une idée originale. Si Balto avait évoqué sa propre histoire, nul doute quon lui aurait offert « Pierre et le loup » de Serge Prokofiev.
Par la suite, Kerjean lui avait demandé de prendre le temps de lire ce bou-quin de Stevenson quil avait acheté à Langogne, le jour de la rupture du binôme, et quil avait dévoré dune seule traite en une poignée dheures. Ses chroniques lozériennes étaient tombées à leau. Il navait rien ramené dintéressant pour le lectorat de Brocéliande, le fanzine pour lequel il « alignait » des piges gratuites. Là, il sapprêtait à partir en Ecosse, car la nouvelle ligne éditoriale imposait de séchapper du carcan de lHexagone, pour visiter les légendes européennes
Le monstre du Loch Ness navait quà se tenir sur ses gardes, Gwendal Kerjean se pointait sur son territoire dans le but de linterviewer.
Balto avait lu le livre de Stevenson qui sintitulait « Voyages avec un âne dans les Cévennes ». La lecture, cest comme le vélo
sauf quil avait dû pédaler ferme pour en arriver à bout ! Il avait été surpris et amusé dapprendre que lânesse du héros sappelait Modestine.
Alors Kerjean eut une idée, que chacun apprécia à sa juste valeur, Maeva la qualifiant de
riche !
Le Bock dOr avait besoin dun ravalement de façade. De plus, il fallait changer lenseigne, qui faisait de plus en plus de mécontents, une pétition circulant dans le quartier. Lorsquil avait appris la nouvelle, le Breton était entré dans une rage folle. Cétait décidé, il fermerait dix jours. Souvent, un commerçant doit abdiquer devant la revendication de clients potentiels ! Il proposa à Balto den profiter pour prendre des vacances.
« Et pourquoi tu nirais pas camper dans la clairière de la Forêt de Mer-coire, hein ? Moi, je reste ici et je moccupe des réparations. Je suis sûr que Maeva nattend que ça pour faire du tourisme ! »
Il lui avait lancé un clin dil, un sourire coquin scotché sur les lèvres.
Le mois de septembre était à peine entamé, il avait beaucoup plu dans le Massif Central durant le mois daoût, cétait une année à cèpes, ils en avaient parlé au 20 heures de TF1. Ils en profiteraient pour en ramener des sacs pleins ; on mettrait ensuite les savoureux champignons à sécher. Cela augurait de soirées dhiver entre amis plutôt chaleureuses, où les omelettes fleuriraient dans les poêles à frire comme les ufs dans le nid dune poule pondeuse.
Maeva était enchantée, car depuis le temps quon lui vantait les pouvoirs de cette forêt, il devenait urgent de se rendre sur place pour en vérifier la magie. Eventuellement, elle pourrait y dénicher une source de jouvence et y boire tout son soûl, afin de garder une jeunesse éternelle, qui sait ? Et puis, au fil des jours, la compagnie de Balto lui était devenu indispensable, et ce serait probablement loccasion rêvée pour
conclure. Elle y ferait également un vu, tiens. Oui, la forêt lexaucerait, elle en était persuadée. Elle avait toujours apprécié les hommes mûrs, et celui-là, avec sa dégaine de Don Quichotte, avait fait mordre la poussière au moulin à vent qui ébouriffait son cur de femme. Un climatiseur soufflait enfin un air brûlant sur son âme encore récemment refroidie par une frileuse expérience avec un « pingouin » à peine majeur
Balto, lui, nétait pas très chaud pour retourner du côté de Langogne, mais pourquoi pas, après tout ? Rôder dans le coin ne lui déplairait pas, finale-ment. De toute façon, il navait jamais campé à la belle étoile. Dormi, oui, sous un vieux carton, mais sous une tente ou allongé dans lherbe tendre, non, jamais !
Un mauvais pressentiment lavait toutefois entraîné au sein de cauchemars dont il oubliait les détails dès les paupières dessoudées. Il nen conservait quune nausée désagréable au saut du lit, et une impression de déjà vu quil naurait su définir avec exactitude. Il se doutait quil y avait affronté des monstres, que ces monstres possédaient deux canines surdimensionnées, oui, mais il ignorait où et comment
Quà cela ne tienne, en retournant dans la Forêt de Mercoire, il vérifierait si, en perdant son aura, Superman navait pas, en compensation, reçu le don de se métamorphoser en oiseau de malheur sur commande.
Modestine ne lavait plus contacté mentalement, cétait bon signe. A moins quil ne soit redevenu totalement réfractaire à ses ondes cérébrales.
Pour se protéger des rôdeurs ou de la Bête du Gévaudan, il emmènerait Merlin. Ce chien sempâtait, il avait grand besoin de courir
Sil restait à Comblessac, il serait capable, en jouant avec sa balle, de heurter une échelle, déséquilibrant le peintre perché à son sommet.
Le duel
Balto aurait tant aimé se rendre à Nantes, y prendre lavion jusquà Cler-mont-Ferrand ; monter dans le « Cévenol », quitter lAuvergne pour rallier la Lozère ; présenter les Gorges de lAllier à Maeva, en passant
Il aurait préparé un discours de circonstance, en fonction de ce quil avait mémorisé de son voyage précédent, improvisant une énumération et une description des sites, quil ferait rimer à la sauce « tiburcienne ». Il agirait tel un homme de qualité, qui pratique le baise-main pour sattirer les faveurs dune prin-cesse. La jeune femme aurait hautement apprécié ce geste de savoir-vivre, il en était persuadé. Il craignait surtout quelle simulât lintimidation, détour-nant son regard mouillé pour fixer sur la pellicule ces instants géographiques rares, comme on enfile les perles dun plaisir visuel.
Sans doute Balto aurait-il à nouveau ressenti un sentiment dangoisse, lorsque le train roule, à vitesse réduite, sur le viaduc de la Madeleine, et que le vide tente de laspirer vers le bas, où il plongerait dans lAllier, éclabous-sant la vallée. Cloué sur son siège, papillon prisonnier dune chenille de fer, il redouterait un afflux de visions surréalistes qui sinviteraient à la fête sans y avoir été conviées. Mais peu importait ce quil endurait, lui, car ce qui prévalait, cétait le bien-être de sa comparse
Une année avait passé, presque jour pour jour
Ils sétaient pointés à Langogne par la route de Mende avec le 4 x 4 de Kerjean, lattirail de camping prenant trop de place pour être trimbalé dans un train.
Comme un an auparavant, tandis que son troisième « cornac » lacheminait à Comblessac, il sétait endormi et avait rêvé. Souple, la conduite de Maeva lavait bercé tel un bébé dans les bras de sa maman. Le moteur ronflait dou-cement, imitant un gros chat endormi sous le capot.
Dans le songe, il émergeait enfin dun coma de plusieurs mois. Modestine et Tiburce se trouvaient à son chevet, légèrement inclinés vers lui, les yeux brillants démotion. Il ne se souvenait de rien, et le docteur qui se tenait en retrait, derrière le frère et la sur, lui révélait sans tarder quil avait tenté de mettre fin à ses jours en se tranchant les veines. Et quil avait bien failli réussir dans son entreprise dautodestruction. En réalité, il avait tout vécu depuis les profondeurs de son trou noir cérébral, le Grand Karnass, Lilith, les smilodons, Rhéal, Traknar
Cétait Martine, sa compagne de galère, qui avait constaté que Balto baignait dans une mare de sang. Elle hurlait telle une hystérique, appelant au secours comme si on lagressait, et quel-quun de limmeuble voisin avait aussitôt réagi. Le SAMU était arrivé six minutes plus tard. Modestine qui, bizarrement, arborait une taille normale, se penchait alors à son oreille, pour lui souffler que ce nétait pas un rêve
que cest elle qui lui avait tout suggéré par la pensée pendant quil était parti ailleurs. Elle lui avait fait son cinéma pour lui éviter de sennuyer de lautre côté de la vie, en attendant quil en revienne.
Il avait hurlé si fort quil avait été expulsé du cauchemar, mais pas du sommeil. Cela faisait une drôle dimpression de quitter un songe pour re-tomber dans le néant du sommeil paradoxal et y surnager.
Sans le brusquer, Maeva lavait réveillé pour lui annoncer quils avaient dépassé Chateauneuf-de-Randon et que Langogne était en vue.
Une fois nest pas coutume, ils étaient entrés dans Langogne sous un soleil radieux. Après avoir traversé le village au ralenti, Maeva sétait rangée sur le parking de lHôtel de la Gare, le bien-nommé. De là, entre les bâtiments de la gare, on apercevait les quais que Tiburce arpentait, gamin, lorsquil contrôlait lexactitude des trains, stylo à bille en main, griffonnant les retards sur un calepin aux feuilles raturées et froissées. Calfeutrés dans le 4 x 4, ils avaient bavardé durant une bonne heure. Toujours souriante, la jeune femme ne semblait pas fatiguée par la route. Ils ne sétaient arrêtés quune seule fois, à Poitiers, pour manger un morceau, et étaient repartis trente-cinq minutes plus tard. Elle était vêtue dun vieux jean délavé qui moulait joliment ses jambes de mannequin et sa chemisette à fleurs au décolleté échancré dévoilait des formes agréables à regarder. Cela dit, malgré des apparences trompeuses, rien nétait prémédité. Elle nétait pas du genre à se vêtir légèrement dans lunique but dallumer lil du mâle ; simple et naturelle, elle ne prisait guère la provocation. Et si elle choquait quelquun, une vieille fille, une grenouille de bénitier, elle en était la première désolée.
Balto avait concocté un menu de la mémoire ; un pèlerinage dont litinéraire puisé dans son passé raviverait la flamme du souvenir. Ce serait loccasion de remettre les pendules à lheure, renouant avec cette enfance effacée par une amnésie partielle dont il avait déjà oublié les aléas. Il nen gardait dailleurs aucune séquelle. Maeva visiterait les lieux quil avait tant appréciés jadis, et entrerait dans sa vie par une porte dérobée. Celle quun homme pousse pour entrer dans la chambre de sa maîtresse, ou quune femme escamote pour cacher un amant à la vue du mari
Balto sétait rendu au guichet de la gare afin de se renseigner au sujet du train touristique des Gorges de lAllier. Circulait-il encore en cette période classée « hors-saison » ? On lui avait répondu favorablement. Le dernier de lannée était prévu pour dimanche, en fin de matinée, à lheure habituelle, départ de Langogne à 11 heures 15. Après-demain donc. Ils pouvaient ré-server dès maintenant ; ce quils firent de bon cur.
Passage obligé, Balto avait entraîné la jeune femme sous le « tunnel des abattoirs », prétextant un coin obscur et retiré pour lui faire le « coup du raccourci qui rallonge ». La bonne humeur se confirmait au fil du temps
et des kilomètres. Aucun train ne sétait pointé, ébranlant la voûte du souter-rain, qui gouttait ; abondante, une mousse verdâtre en tapissait les parois humides, attestant de la météo pluvieuse que les aoûtiens avaient dû subir. Il navait pas eu le courage dinvoquer ses nombreuses visites aux animaux condamnés, craignant de déstabiliser Maeva dès le début du séjour, et de casser lambiance.
Ils avaient par la suite vadrouillé dans le village moyenâgeux, empruntant des rues en pente dont certaines portes étaient ornées dun anneau soudé dans le mur qui avait servi à attacher les chevaux, deux siècles plus tôt. Ils avaient « piétiné » sous la halle aux grains, faisant résonner leurs semelles, comme sils marchaient dans lallée centrale dune cathédrale. Ils avaient longé le Langouyrou, la rivière qui tirait un trait sinueux au cur du bourg, permettant aux locaux, aux curieux, de contempler les fuseaux vifs et fuyants des truites nageant à contre-courant. Ici, tout nétait quun savant mélange dancienneté et de modernité rurale : rues pavées côtoyant des magasins branchés, tags barbouillés sur des fontaines asséchées, sur des murs de vieilles pierres
Toutefois, à quelques petits détails, Balto ne pouvait ignorer que les temps avaient terriblement changé, et pas forcément dans le bon sens. Un ado jetant un mégot encore fumant sur une truite en train de moucher ; un père de famille dévisageant Maeva comme sil voyait pour la première fois la peau bronzée dune femme coiffée à lafro ; une vieille dame outrée par leur dif-férence dâge, puisquun homme blanc de peau ne peut pas être le père dune Africaine
Alors, on se disait que lattitude des uns est peut-être motivée par celle des autres ; que cest la plaie de notre époque ; que lon ny peut rien changer car, de toute façon, il est déjà trop tard ; que cette plaie saigne et lhémorragie menace
Las de marcher, ils avaient pris la direction de la Forêt de Mercoire, but suprême de leur séjour en Margeride. Balto avait fredonné « Pierre et le loup » de Prokofiev, le thème du canard, mais sans réaction : la panthère noire navait pas sorti ses griffes pour lui labourer le dos.
Oui, ce soir, ils pique-niqueraient à la belle étoile. Il avait indiqué dun doigt accusateur comment dénicher la sente miraculeuse chère aux bûcherons du coin, et Maeva avait suivi cette flèche virtuelle. Elle lui avait encore refusé le volant, car elle tenait absolument à conduire chaque fois quelle découvrait un territoire nouveau. Et pourquoi pas lui livrer la Forêt de Mercoire dans un paquet cadeau, hein ? Balto se chargerait du retour au bercail, comme sil était plus classe quun prince roulât en marche arrière sur les traces de pneu que sa promise aura laissées derrière le carrosse, telle la bave dun escargot. Au crépuscule, ils sétaient installés en chantonnant le tube de lété. Il suffisait que lun entamât le refrain, pour que lautre lui emboîtât le pas, effrayant les animaux qui, ayant jugé le concert insupportable, avaient déserté les lieux. Constatant que, cette nuit, trônerait la pleine lune dans lécrin dun ciel adamantin, Balto sétait amusé à rebaptiser la clairière. Ainsi la « toison masquée de la lune enceinte » leur ouvrit ses bras de verdure, tandis que là-bas, cette barrière de troncs darbre évoquait lauréole capillaire ceignant la tonsure dun moine.
La jeune métisse en avait été amusée, ce qui avait ravi le charmeur du cré-puscule, dans la mesure où elle était la cible de la plupart de ses traits dhumour. En une année, Balto avait évolué, passant du stade de « chevalier de la longue figure », surnom de Don Quichotte, à celui de chansonnier ou comique troupier. Nétait-il pas sur le point de singer inconsciemment Ti-burce Barnouin, au panache et à la verve légendaires ?
Maeva sétait garée au hasard ; lobservant du coin de lil, il avait secrè-tement parié quelle choisirait le même endroit que Kerjean, lan dernier. Perdu ! La série de coïncidences battrait-elle de laile, tel loiseau de malheur que Balto aspirait à ne jamais devenir.
Ils avaient monté la tente avec force raisons déclater de rire, puis avaient bivouaqué. Ils avaient faim. A vingt heures, il faisait déjà nuit, mais lair nétait pas encore frais. Des chauves-souris, comme à leur habitude, zigza-guaient dans le clair-obscur, surveillées par lil dacier de la sentinelle de la nuit. Demain, on partirait à la cueillette de cèpes, le panier vide à la main, dans lespoir de le ramener plein à craquer
Ils avaient grignoté et bu sans exagération, puis sétaient allongés côte à côte en fixant le ciel. Délimité par la cime des arbres disposés en couronne, le ciel rappelait un couvercle posé sur la clairière, ou une soucoupe volante sur le point datterrir.
Balto zieutait les étoiles, quand son regard fut détourné de son objectif par un bruit suspect dont la source émanait des branches basses dun chêne. Un craquement dos que lon brise, suivi de la chair qui se déchire : une fracture ouverte. Mais non ! Ce nétait quun craquement, et la course trotte-menu dun petit animal galopant dans la ramure pour fuir. Limagination de Balto paraissait décuplée depuis quil
Un écureuil sans doute. Celui quil connaissait déjà, et qui venait le saluer ? Il y avait fort peu de chance pour que ce fût lui, mais lidée ne manquait pas de poésie, nest-ce pas ? Le petit rongeur à la queue empanachée ne possédait certainement pas une mémoire suffisante pour
Mais allez savoir, avec les animaux !
La Grande Ourse navait jamais autant mérité son surnom. On sattendait presque à ce quelle pêchât un saumon, les crocs plongeant dans une onde pure, ou déracinât une ruche dun violent coup de patte, provoquant une panique bourdonnante chez les abeilles. Cette nébuleuse, là, ne ressemblait-elle pas à un poisson ? Et cette galaxie, ici, naffichait-elle pas les contours dune ruche ? Une étoile filante fendit le ciel. Maeva et Balto pointèrent le doigt dans la même direction. Et joindre leurs mains de cette façon, cétait amusant, mais également
troublant ! Orientées vers un but précis, sur un tempo identique, et dans un mouvement similaire
Cela ébauchait dans lespace le dessin dun clocher, ou dun tipi. En effectuant ce geste, Balto se rendit compte que sa montre brillait dans la pénombre : dans trente minutes, minuit sèmerait ses douze graines déternité. Sébrouant, une chouette ulula sous le couvert et ils frissonnèrent de concert.
Tandis quils savouraient un yaourt aux myrtilles, Balto avait lancé une vanne qui avait une fois de plus fait mouche, et le sourire de Maeva avait illuminé la clairière, rivalisant avec la pleine lune. Elle lui avait caressé la joue, comme une mère fière des bons résultats scolaires de son enfant.
Dis-moi, Balto, comment fais-tu pour être toujours rasé de près ? Je ne tai jamais vu barbu. Je naime pas les hommes poilus. On a toujours limpression que cest une jungle qui cache de méchantes bêtes
Ses dents blanches avaient lui dans le clair-obscur.
Etonné par la question, il navait su que répondre. Mais effectivement, il avait remarqué que depuis son bref séjour sur Rhéal, ses poils et ses cheveux ne repoussaient plus. Il navait pas approfondi, tant les mystères saccumulaient. Devinant sa gêne, elle ninsista pas et changea de sujet.
Là, regarde, cet amas détoiles, on dirait la silhouette dun lion ! Ou dun tigre
Un lynx peut-être, sétait-il surpris à répondre.
Dix minutes plus tard, comme hypnotisé par ce climat serein et décontrac-té, il sétait assoupi.
Et avait rêvé
Rêvé quil flânait dans la forêt.
Un hurlement lugubre sélevait en une longue plainte déchirante du sous-bois, imitant une corne de brume. La chair de poule picorait le corps de Balto, comme une pluie de grêlons sur la banquise. Son sang charriait une armada de glaçons ; cristallisées par lhypothermie, les parois de ses artè-res se fissuraient déjà. Un loup ? Un comble, voilà que Superman rêvait quil était le Petit Chaperon Rouge ! Pitoyable ! Le hurlement soutenu se transformait peu à peu en un grognement de molosse enragé ; la bête écu-mante se rapprochait, à pas de loup. Dans le silence, on entendait distinc-tement claquer les branches que ses pattes maladroites fracturaient ; son souffle de prédateur en chasse aurait glacé léchine dun bonhomme de neige. Alors, faisant face au danger, Balto se retournait : deux yeux rougis par le désir de carnage transperçaient lobscurité et le fusillaient. Mais le souffle de forge était toujours audible, le son émanant maintenant dun point situé dans son dos. Il faisait une nouvelle fois volte-face et
Une autre paire dyeux haineux ! Il était mis entre parenthèse par deux monstres ; mais, contrairement à lhabitude, la métaphore ne le décontractait pas. Pourtant, le regard du second prédateur semblait à une hauteur sensiblement différente, dominant lautre à distance. Un adulte et un jeune, sans doute, qui sétaient organisés pour ne pas rater cette cible, leur proie. Balto était tétanisé. Il nétait pas encerclé, mais son cerveau demeurait comme fossilisé, incapable de transmettre à ses jambes lordre de décamper. Tout à coup, le loup se mettait à grogner, montrant les crocs ; le son caverneux émis sur une fréquence basse était assourdissant. Mais ce nétait plus la réaction dun carnassier affamé devant un repas inoffensif, cétait celle dun mâle confronté à une menace et sur le point de se battre contre un congénère pour le gain dun territoire. Et ce territoire se nommait Balthazar Beltoise ! Il ignorait pourquoi il défendait cette créature sans intérêt, mais son instinct le poussait à
sexécuter. Un formidable rugissement du plus grand des combattants lui répondait, résonnant dans la forêt comme un appel au meurtre. Terrifiés, les animaux nocturnes avaient détalé, désertant le futur champ de bataille, car après laffrontement inévitable, plus rien ne repousserait à des kilomètres à la ronde. Les oiseaux, qui avaient décollé de leurs perchoirs à la vitesse de léclair, avaient perdu quelques plumes dans laffolement général. Certains sétaient télescopés en plein vol, dautres avaient heurté des branches trop rapprochées
Et les rémiges continuaient de tomber mollement, se déposant dans lherbe humide tels des pétales de rose. Cétait lunique touche de poésie ébauchée au cur de cette scène digne dun roman dépouvante. Les buissons frissonnaient, attestant de la débandade du bestiaire. Cétait clair, les deux bêtes qui se faisaient face nappartenaient pas à la même espèce. Se profilant sur les troncs, la taille et la forme des ombres confirmaient cette hypothèse. La pleine lune noyait la forêt dans un bain de lueurs métalliques. Le ciel était gris, spectral, et le satellite de la Terre évoquait un lustre allumé dans une morgue. Flottait dans lair un rayonnement électrique qui navait aucun rapport avec la foudre. Anticipant lattaque, Balto saccroupissait soudain, et le loup sautait au-dessus de lui pour se jeter sur le smilodon, qui sétait également précipité, mais pour fondre sur Balto. Le loup percutait le tigre à dents de sabre en lair, juste avant quil nentamât, les pattes et la gueule en avant, une courbe descendante fatale à Balto. Hélas, en retombant, les griffes du fauve labouraient lépaule de lhomme. Mais pas pour le lacérer, juste pour se rattraper à quelque chose de tangible, car les crocs du loup sétaient déjà refermés sur son poitrail et légorgeaient
Balto ne fut pas réveillé par la douleur, mais par le bruit perçu dans le rêve qui, se reproduisant dans la réalité, lavait aspiré hors du sommeil. Le cra-quement à répétition de brindilles piétinées par des pattes nerveuses.
Je vois que tu nas pas fait que tassoupir. Tu as fait un mauvais rêve
Il se sentit mal à laise tout à coup. Mais il était intimement convaincu quil ne sétait pas blotti dans les bras de Morphée uniquement pour se reposer dun coup de pompe dû à lâge. Non, cétait autre chose
un avertissement. Apparemment, Maeva navait rien entendu.
Toujours aussi courageux lorsquil était question dun repli stratégique, Merlin avait disparu dans les fourrés, plus véloce et bondissant quun lièvre. Son ombre avait eu le plus grand mal à lui emboîter
Tu me racontes ?
Elle avait dit cela à la manière dun gosse qui demande à son père de lui raconter une histoire pour sendormir ou de lui susurrer « Pierre et le loup » de Prokofiev ?
Chut ! Ecoute
Il joignit le geste à la parole, et un doigt fébrile barra ses lèvres, réclamant le silence.
Elle allait dire quelque chose
Attends, bouge pas, je vais voir
Superman était de retour.
Il se leva, parcourut les trente pas qui les séparaient de la forêt et sengouffra sous le couvert.
Maeva le regardait évoluer en se disant que, décidément, cet homme de cinquante et un ans assumait avantageusement son âge. Son cur se mit à battre plus fort et elle eut peur que ce battement dhorloge ne réveillât les vieux démons, toujours attentifs aux moments de relâchement.
Il eut limpression dentrer dans un temple. Une lueur grisâtre sourdait des troncs, qui ressemblaient à des piliers de marbre. Franchir la lisière de cette forêt, cétait lassurance dêtre précipité dans un univers sous cloche. Plus il avançait, plus les arbres se resserraient, comme pour empêcher le monde extérieur de pénétrer au cur de cette jungle lozérienne. Certains paraissaient posséder des yeux, dautres des bouches, mais il suffisait dêtre attentif, pour que ces seigneurs de la sylve redevinssent aveugles et muets. Lorsque Balto faisait mine de tourner la tête dans leur direction, des feuilles fré-missaient, sans pouvoir déterminer si le végétal vivait, ou si un animal lavait frôlé en senfuyant. Il crut déambuler au cur dun musée dépouvantails, ou dans un champ parsemé de gibets. Il imagina quil aurait eu lair dun con si la forêt, imitant celle de « Macbeth », la pièce de Shakespeare, sétait subitement mise en marche, le plantant là, tel un pantin de bois enraciné. Quelque chose attira son regard : un fragment détoffe rouge accroché à un « copeau » décorce décollé. Il sapprocha afin de vérifier, et ce quil vit le fit frémir. Il avança la main, toucha le liquide tiède du bout des doigts. Ce nétait pas du tissu
En divers endroits, des ruisseaux dune résine rougeâtre sécoulaient de larbre, un chêne. A nen point douter, un ours sy était fait les griffes et
Mais non ! Un ours possédait un corps trop massif pour se faufiler au sein de ce labyrinthe dombres, lieu visiblement réservé aux animaux faméliques et aux êtres humains anorexiques. Oui, cétait logique
cette futaie navait aucun intérêt à entretenir ses occupants en leur fournissant de la nourriture. Cela collait, cétait désagréable. Il songea à ce qui était arrivé à Quentin Duvalier, ici même et dans la Forêt de Brocéliande. Cétait encore tout chaud dans son esprit, brûlant
Surtout ne pas porter la main à sa bouche !
A vingt mètres, une branche basse bougeait toute seule, révélant que quel-quun sy était appuyé avant de quitter sa planque. Opérant un mouvement tournant, Balto se dirigea vers lobjectif, et Modestine apparut. Elle attirait maintenant son attention en secouant le rameau, quelle avait saisi à bout de bras, se dressant sur la pointe des pieds. Elle opérait comme si elle avait peur dêtre localisée si elle appelait ou de réveiller la forêt. Doù il se trouvait, il napercevait que la partie supérieure de son corps, ses jambes étant masquées par un bouquet de fougères. Jusque-là, sa petite taille lui avait permis de se déplacer sans avoir à se baisser. Elle sétait infiltrée dans la place sans problème. Mais, marchant sur des bouts de bois secs, elle avait trahi sa présence, et le son avait porté loin, jusquau centre de la clairière. Les feuillages se réunissaient en voûtes dogives, formant une conque acoustique, et cela favorisait lémission des décibels. De toute façon, jouer à la femme invisible aurait été une grave erreur, puisquelle avait été bruyante, le savait, et un éventuel vagabond laurait également su. Elle avait attendu de reconnaître lintrus pour se dévoiler. Un inconnu laurait poussé à simuler une statue, plaquée contre lécorce ; il aurait pensé que la branche avait été animée par un rapace nocturne prenant son envol ou un couple décureuils jouant à se poursuivre. Dans le premier des cas, il aurait perçu le bruit soyeux des ailes qui se déplient, mais
Balto eut lattention attirée par des reflets rouges qui flamboyaient au loin, derrière elle, comme si des bûcherons avaient allumé un feu de camp. Ce nétait pas un incendie, non, car les lieux nétaient nullement imprégnés par lodeur caractéristique du bois brûlé Balto avait jadis été fasciné par cette fragrance malsaine. On aurait dit une porte souvrant sur lEnfer. Des rayons dargent dardés par le clair de lune en striaient lentrée, agissant tel un rideau de pluie devant un coucher de soleil.
Il ne put sempêcher de songer : « Si cest la porte de lEnfer, elle est pour ma pomme ! Là-bas, déguisé en curé, le Diable y interprète Bach en pétant, et on y décapite les Saints avant de brûler leurs auréoles ! »
Il réalisa alors que quelque chose clochait : plus il senfonçait dans le sous-bois, moins il faisait sombre. Cétait certainement dû à cette luminescence pourpre, là-bas
Quant au silence
Toi ? Mais
tu apparais comme
Je suis venu à pied, Balto. Il se passe des choses gravissimes sur Vlakas-trakna. Les portes spatio-temporelles nexistent plus, elles ont toutes été détruites. Je suis à Langogne depuis plusieurs jours. Je suis arrivée par celle du « tunnel des abattoirs », cest la dernière à sêtre refermée. Je suis redevenue terrienne
et jai un mauvais pressentiment. Traknar est
Cette lueur rouge, là-bas, cest quoi ?
Cest lempreinte du monde gris. Il sévapore, et en seffaçant, il lâche les gaz, si on peut dire. Cest une réaction chimique. Lorsquun monde parallèle disparaît, il fait nuit à midi, jour à minuit ; parfois, il neige en plein été. La preuve
Que sest-il passé ? Que fais-tu ici ? Et comment savais-tu que jétais là ? Tu las lu dans mes pensées ? Tu mas observé depuis là-bas ?
Non, non
Je me suis connecté sur lesprit du mec que jai assommé ici, lannée dernière. Il est si semblable à Tiburce. Mais maintenant, je me rends compte que tes ondes cérébrales lui correspondent de plus en plus. Je suis descendu à lHôtel de la Gare, cela fait dix jours que je suis à Langogne, je tattendais. Après, je repartirai chez moi, dans ma maison
du côté dAix
Cest si grave que ça ?
Traknar est mort. Ce monde parallèle où se sont réfugiés les Rhéaliens, et où je tai presque entraîné de force, cétait son uvre. Il était le concepteur de Vlakastrakna. Il avait la faculté de créer la matière à partir de lénergie de vie de lUnivers. Cétait un sculpteur de néant. Ici, il aurait été considéré comme un dieu vivant. Les autres ont cru que cétait une action collective, mais ils avaient tout faux ! Dès lors que le dernier des hommes gris nexistait plus, ce monde navait plus lieu dêtre. Il était plus perfectionné queux, il appartenait à la dernière génération, et cest pour ça quil a été un survivant. Tout a commencé à aller mal quand le légionnaire a découvert lastronef. Il a menacé Traknar de tout révéler, il a voulu le faire chanter. Mais les Rhéaliens ne connaissent pas le pouvoir de largent. Et ce type navait pas compris ça
parce que cest inimaginable. Un jour, il la suivi jusque dans lastronef. Il est interdit à un être humain dy mettre les pieds. La réaction ne sest pas faite attendre : lengin a immédiatement implosé. Cest un astronef vivant qui sautodétruit sil est investi par une race étran-gère. Cest pour ça que Traknar sest évertué à tenir tout le monde à lécart. Il ne pouvait mourir quen étant détruit dans latmosphère où il avait été conçu et avait vécu
Cet astronef sappelle « La Boussole » et il vient du futur. Traknar ma fait confiance, il se sentait proche de moi. Cest assez spécial, énigmatique
Lui aussi devenait humain, et je crois bien quil était tombé amoureux de moi. Il vient de 2056, il est américain. En 2056, on a découvert la machine à remonter le temps, mais lêtre humain ne supportait pas le voyage. Il fallait donc créer une race de robots évolués mi-humains, mi-machines. Cest Traknar qui sest débarrassé de ses congénères, car ils risquaient de ralentir la mission. Au contact de la Terre, ils shumanisaient, et cétait dangereux. Lui-même commençait à régresser. La Terre influence ce quelle irradie. Il était prévu de remonter le temps plus loin. Jusquà lère quaternaire. Il y a eu une avarie et le compteur est resté bloqué à notre époque. Traknar était programmé pour agir sur la matière, mais il manipulait également les esprits. Les autres Rhéaliens étaient donc persuadés davoir réchappé à un cataclysme ayant dévasté leur planète ori-ginelle. Leur passé était fabriqué de a jusquà z, totalement artificiel. Il a dû étirer le temps, car ses congénères de la première génération étaient plus résistants que prévu. Puis il a créé ce monde gris, pour ne pas investir la Terre, où on les aurait pris pour des extraterrestres
Il ne fallait pas attirer lattention des Terriens de 2005.
Et cette mission, cétait quoi ?
Rayer de la surface de la Terre la race des smilodons, car en 2056, Smi-lodonia existe. Ils se sont installés dans un autre continuum mais empiètent sur la Terre, grappillent progressivement du terrain. Ils sy faufilent et atta-quent les villages isolés. Ils font régner la terreur. On les tue par milliers, il en arrive dix, cent fois plus. Bientôt ils sattaqueront à Pandémoniopolis, un milliard dhabitants, la capitale de ce qui fut la Planète Bleue. Ils ont déniché le moyen de voyager dans le futur. Je crois que des portes sont restées ouvertes quelque part. Probablement dans un troisième monde parallèle. Ils se seront regroupés là-bas dans le but denvahir la Terre de 2056. Jai une hypothèse à ce sujet. Tu te rappelles que la mère du Grand Karnass a été piégée sur Vlakastrakna, nest-ce pas ? Elle y est restée, mais le père, lui, est reparti dans le temps. Cest lui, assurément, qui est linstigateur de tout ça. Il doit en vouloir à Traknar de lavoir indirectement berné. Moi-même je suis en danger, car mon esprit commençait à me lier au sien. Nous étions sur la même longueur donde. Heureusement, quand le père du Grand Karnass a été piégé, il nétait pas télépathe, puisquil nétait pas resté assez longtemps sur Vlakastrakna pour être sous son influence. Donc, le plus simple pour les Américains de 2056, cétait de remonter le temps afin de détruire les smilodons à lorigine. Un virus a été créé. Il suffisait de le lâcher dans la nature. Les Rhéaliens étaient nombreux au départ, parce quil fallait faire croire à laction dun esprit collectif. Cétait également loccasion de se débarrasser deux, car les productions de machines humanoïdes, en 2056, devenaient incontrôlables pour des raisons déthique. Ainsi, pour des guerres élémentaires, on envoyait dix, vingt, cent fois plus de « soldats » quil nen aurait fallu. Dautres missions ont dû se mettre en route dans le futur, apprenant que celle-ci avait échoué.
Mais des espèces à venir étaient en danger avec cette méthode. Le tigre descend du smilodon, tout de même. Si les tigres existent, cest que toutes vos missions ont échoué. Et si une delles avait réussi, il ny aurait jamais eu de tigres sur Terre.
Une autre espèce aurait remplacé les smilodons. A lorigine de lévolution des félins à dents de sabre, il y avait les machairodus aussi, par exemple.
Décidément, les Américains nont pas changé en 2056.
Mais, Balto, en 2056, la planète entière est américaine !
Soudain, le bruit dune poutrelle que lon malmène en y ébauchant des figures de funambule
Modestine sappuyait contre le tronc noueux dun chêne gigantesque dont la cime semblait caresser le ventre de la lune. Solidement planté sur ses jambes, Balto lui faisait face, abasourdi par ce quil entendait. Bizarrement, il ne pensait plus à Maeva, qui devait déjà sinquiéter, assise en tailleur devant sa tente. Il constata la taille de larbre lorsquil leva les yeux au ciel afin de vérifier doù émanait ce bruit de branche sur le point de céder sous un poids trop lourd. Un smilodon sy tenait tapi, sapprêtant à se jeter dans le vide. Lhomme neut pas le temps davertir Modestine, qui reçut sur le dos les quatre cents kilos de cette moissonneuse-batteuse montée sur pattes.
Dans un film américain à gros budget, Modestine naurait pas terminé sa phrase, le prédateur se jetant sur elle entre les deux syllabes dun mot for-cément essentiel pour la suite de lhistoire. Le fauve aura amputé à la fois lhéroïne et le mot. Certes, elle aura évidemment tenté de murmurer quelque chose à loreille du personnage principal, mais le terme sera inachevé, la dernière syllabe tant attendue demeurant coincée au fond de sa gorge déchirée par les crocs de lanimal tueur. Les yeux révulsés, elle aura poussé son dernier soupir sans avoir dit LE mot, tandis que dans la salle de cinéma, enfonçant leurs ongles dans les bras du fauteuil ou du voisin, les spectatrices auront forcément envie den savoir plus. Oui, mais là, rien de tel, car la ré-alité ne respecte jamais les synopsis. Il semblait que le fauve géant aie at-tendu quelle finisse sa tirade, pour mieux la châtier davoir osé la commen-cer. La bête avait glissé, éveillant lattention de Balto. Cétait là la preuve irréfutable quelle attendait linstant propice pour sauter sur sa proie, et quelle avait été trahie par la branche quelle sciait. Et cet instant propice, cétait la fin du récit sur la disparition du dernier des Rhéaliens et de son monde gris
Comme pour la punir de tout avoir raconté dans les détails.
Elle aurait pu choisir de se laisser tomber de toute sa hauteur, de tout son poids sur Modestine, quelle aurait écrasée
La nuque brisée, sa victime serait morte avant même davoir été lacérée
Mais non, ce nétait pas assez cruel, visiblement ! Mieux valait plonger sur cette femme, les yeux lançant des flammes, toutes griffes dehors, les babines retroussées sur des crocs prêts à prendre immédiatement la relève de ce tandem de canines qui allaient creuser de profonds sillons dans cette chair vive, y semant une mort douloureuse. Le témoin aussi allait y passer, il navait rien à faire là, lui
il était de trop ! Lestomac du smilodon ne pouvait contenir quun seul repas ; mais lui, il se contenterait de mourir terrassé par un coup de patte méprisant, presque distrait. La punition quune quantité négligeable de son aca-bit méritait !
Modestine navait pas eu le temps de se débattre. Le ciel lui tombait sur la tête, il ny avait rien à faire, sinon subir, capituler. Tout à lheure déjà, elle avait paru résignée, défaitiste, comme si elle nenvisageait son avenir quen pointillés, pas autrement. Elle avait toujours été hypersensible, intuitive
et voilà quelle
Elle venait dêtre décapitée par un cinglant coup de patte ; patte au bout de laquelle des griffes tranchantes telles des lames avaient jailli, étincelantes. Le soleil qui palpitait dans sa poitrine en avait été éclipsé. De son cou tranché juste sous le menton, un geyser sanglant giclait, attestant que la carotide avait été sectionnée de façon chirurgicale. Sa fontaine de vie fuyait, crue vitale que rien ne pourrait assécher. Le petit corps étêté était prostré contre le tronc, les épaules à peine avachies contre lécorce maculée de son sang, qui continuait déclabousser la sylve de sève purpurine. Ses hanches saffaissaient peu à peu et ses jambes mollissaient. Ses fesses se posèrent sur le sol dans un bruit mou. Sa tête avait roulé cinq mètres plus loin ; toujours ouverts, ses yeux fixaient le néant, plus bleus que jamais. Au fond du sous-bois, la lueur rouge avait disparu, comme si elle sétait concentrée dans lhémoglobine répandue.
Modestine était partie avec le monde gris.
Balto reculait, ses mains palpant le vide derrière lui, en quête dappuis, pour sorienter à laveuglette. Face à lui, arrogante, la bête prenait son temps ; précis, ses gestes évoluaient au ralenti. Elle ne le quittait pas des yeux, les pupilles dilatées, prête à bondir. Les mâchoires crispées, elle do-delinait de la gueule en un mouvement de va et vient qui naugurait rien de bon. Balto reconnaissait cet il haineux : il évoquait fidèlement celui du Grand Karnass. Les gènes ne mentent jamais !
Balto eut alors une idée folle. Il prit le parti de tourner le dos au smilodon, qui semblait trop sûr de son coup. Cétait une véritable machine à tuer, ses pattes labouraient le sol et ses canines surdimensionnées se balançaient au rythme de sa tête au pelage rayé. Il était beaucoup plus grand quun tigre. Balto tâtait fébrilement les troncs darbres, comme sil en testait la qualité de lécorce. Il sefforçait de garder la même trajectoire, de revenir sur ses pas, sans dévier dun pouce. Le regard du monstre était palpable et séternisait sur sa nuque. Le père du Grand Karnass sébroua. Ses muscles saillaient, et chaque pas les animait dune souplesse farouche et meurtrière. Ses yeux étaient plus rouges que le sang. Le silence était troublé par les brindilles qui craquaient sous ses pattes et par le grondement de ce prédateur dune autre ère. Soudain, Balto sentit quelque chose dhumide sous la main. La résine du chêne
le fragment détoffe
Il lui fallait maintenant le porter à ses lèvres, y goûter, imitant Quentin Duvalier. Il sexécuta. Le smilodon avançait toujours, secouant sa tête de tigre dun âge lointain. Il bavait, et chaque grognement était accompagné de crispations des muscles que lon devinait tendus sous son pelage roux. Balto bu le sang de larbre.
Cest alors que le regard du smilodon se détourna et que Balto entendit un cri de femme qui provenait de lorée de la forêt. Maeva ! Après avoir perçu des sons suspects, luttant contre la peur, elle sétait décidée à pénétrer sous le couvert et avait assisté à la scène. Elle était pétrifiée. Il la détailla et eut un haut-le-corps. Il navait pas trop approfondi mais il avait été très étonné quelle ne lappelât point, car cela faisait quarante bonnes minutes quil avait déserté la clairière. Là, se fiant à ce quil voyait, il comprenait mieux pourquoi
Maeva avait vieilli de cinquante ans. Lhistoire de la Lolo et de Tintin, le bûcheron, se reproduisait un demi-siècle plus tard
et au même endroit. Et toujours sans que lon sache si cest la forêt qui « blanchissait » la vie, ou bien la peur. Sous leffet de la poussée dadrénaline, on voyageait soit dans le passé, soit dans le futur. A moins que la terreur naie le pouvoir, ici et nulle part ailleurs, de vous transformer en vieillard ou en momie rien quen montrant les crocs
La haine se mêla au désespoir.
Il ressentit comme une brûlure tout le long de son sophage, puis dans son estomac. Sa vue se brouilla et il bafouilla un chapelet de mots sans suite. Il tenta douvrir la bouche mais seul un cri étouffé sen échappa, qui se trans-forma en un feulement de gros chat. La scène, tout à lheure interprétée au ralenti, sétait passablement accélérée. Le smilodon sapprochait à pas de loup, sûr de son fait, de son méfait ; mais lui, son cerveau lui dictait quil fallait multiplier par deux, par trois la vitesse dexécution de lennemi. Balto souffrait dans sa chair, il se sentait envahi de lintérieur par une ombre mau-vaise qui lui dévorait les entrailles et allumait des foyers de haine dans ses terminaisons nerveuses. Il avait limpression de ne plus être capable dautre chose que de foncer sur son congénère, là, qui le narguait. Pourtant, installé aux premières loges, cétait la place idéale pour être témoin de la métamor-phose. Après être sorti de son cocon, la chenille devenait papillon. On aurait dit quil sen félicitait, quil était heureux de lutter enfin à armes égales contre ce
Quil sattendait à la mue.
Balto eut mal aux gencives, aux doigts, au coccyx
Lui, glabre trente se-condes plus tôt, sentait désormais les poils roux pousser sur sa peau muscu-leuse. Son dos se courbait, comme sous leffet dun poids trop lourd. Il se mettait à quatre pattes, tandis que son cerveau séteignait. Ses vêtements en lambeaux avaient valdingué dans tous les sens, certains morceaux de tissu saccrochant à des arbustes, dautres aux branches dun châtaignier. Le pa-rallèle avec Hulk était inévitable. Balto nexistait plus. Seul pulsait le cur dun animal féroce sur le point de sattaquer à un « frère de sang » dangereux qui venait de tuer sa meilleure amie, et sapprêtait à mettre en pièces la femme quil aimait. Mais cétaient là des considérations humaines, et ses synapses animales lui dictaient les mêmes choses mais codées en langage smilodon. Il eut envie de bâiller. Mais il ne bâilla point à la manière des Humains. Il ouvrit sa gueule et un terrible rugissement en fut expulsé.
Deux smilodons se faisaient face.
Maeva parut sévanouir, tombant en arrière de toute sa hauteur, les bras en croix. La peau parcheminée, elle gisait maintenant entre deux bouquets de fougères, la main gauche enserrant le chapeau dun cèpe énorme. Le père du Grand Karnass sapprocha du corps inerte en grognant ; lautre le suivit du regard, puis avança lentement dans sa direction. Posant une patte sur la tête de la vieille femme, il sembla attendre la réaction de Balto, son ennemi, qui se figea. Cétait un piège, il le ressentait au plus profond de sa nouvelle chair de prédateur sur la défensive, cétait viscéral. Sil se jetait sur lui, il esquiverait lattaque, et, nayant pas le temps de rétracter ses griffes, il laminerait le
cadavre.
Maeva ne respirait plus, elle était visiblement morte, morte de vieillesse
ou de peur. Ce nétait sans doute pas un infarctus, son cur prématurément usé navait pas explosé tel un fruit trop mûr, car ses doigts ne sétaient pas crispés sur sa poitrine. Elle navait donc pas souffert. Toutefois, une certaine éthique, vestige de son très récent état dêtre humain, interdisait à Balto de prendre le risque dagresser son adversaire si près de la dépouille. Elle méritait de monter au ciel
entière. Au Paradis, on voit dun très mauvais il les pièces détachées, la plupart ayant été refusées en Enfer et acheminées en recommandé vers leur destinataire dorigine. Manquant de patience, Saint-Pierre nest pas très doué pour les puzzles anatomiques.
Se tenant sur leur garde, les smilodons demeurèrent immobiles. Ils étaient sensiblement de force égale et de même corpulence. Le père du Grand Kar-nass passa sa patte sur le ventre de la gisante, comme pour la caresser, en feulant. Sa grimace évoqua un sourire
un sourire carnassier. Cette bête était primaire mais affichait un machiavélisme presque humain. Alors ses griffes se déployèrent en éventail et lacérèrent la chemisette à fleurs, dévoi-lant une poitrine creuse et des seins décharnés. La peau de la métisse était dune pâleur fantomatique. Méfiant, Balto ne réagit toujours pas en réponse à la provocation.
Décidément, il ne leur manquait que la parole
et une musique sirupeuse de western en fond sonore. Sergio Leone tournant au quaternaire, et Ennio Morricone à la baguette. Soudain, un craquement se fit entendre et un bruit sec, quelque chose de léger qui tombe lourdement, puis une course trotte-menu sur une branche basse du chêne, là, derrière le smilodon violeur. Un moment dinattention. Lécureuil dominait la scène, prêt à compter les points, mais il navait pas voulu sinstaller confortablement, comme au ci-néma, sans quelques glands à portée de dents. Hélas, son gland préféré était tombé, et avait roulé à un mètre à peine du monstre cynique.
Ce fut le signal dattaque, Balto se jeta griffes en avant sur son ennemi et lui laboura le dos tout en le mordant au cou, où il planta ses deux terribles canines jusquà la garde. Un smilodon singeant un vampire des vieux films de série B, avec un casting de premier plan, cétait plutôt surréaliste
Dracula et lEnfer sur Terre ! Du pain béni pour le spectateur à la queue empa-nachée ! Du sang éjacula en longues giclées sporadiques de la plaie béante. Un mugissement de douleur séleva sous le couvert, suivi dun couinement, comme un nourrisson étouffé par du lait quil aura bu sans respirer entre les goulées. Il ébaucha une volte-face, mais le mouvement accéléra la circulation du sang et aggrava sa blessure. Il tenta de rugir, mais le coup avait été porté avec précision, une précision chirurgicale, et il se vidait de sa vie par la gueule.
Balto avait reculé de cinq pas et assistait à la fin du vaincu. Il résistait contre lenvie de lachever dun ultime coup de patte qui lui décollerait la tête du poitrail, juste assez pour que ses yeux pussent constater que leur an-gle de vision étaient plutôt
fantaisiste. Une vague dhémoglobine laveuglerait et il disparaîtrait, avalé par la mort. Le néant destiné aux tigres à dents de sabre lui ouvrait ses portes.
Et Smilodonia, la cité des tigres à dents de sabre, ne serait jamais fondée !
Balto poussa un rugissement formidable qui ébranla les troncs darbres à la manière dune boule dans un jeu de quilles. Il était dorénavant le maître des lieux et
Non, il était surtout effondré, et la longue plainte quil réfrénait, depuis lexcès dadrénaline, sétait muée en une sauvagerie orale de façade.
(Lhistoire ne dit pas si lécureuil a applaudi à la fin du spectacle)
Durant la brève mais fatale empoignade, latmosphère avait considérable-ment changé. Une poussée de fièvre sempara du corps tendu de Balto et il sévanouit. Un temps indéterminé sécoula, il se réveilla, se leva sur ses deux jambes et sétira. Il était redevenu un homme
un homme glabre. Il regarda le décor environnant et sattarda sur les deux corps. Il cria. Un hurlement déchirant.
Au-delà du champ de bataille, la clairière était blanche. Il neigeait.
(Epilogue)
Ce matin, Kerjean est de bonne humeur. Il a dormi comme un bébé. La façade de la brasserie est ravalée, lenseigne est remplacée. Maintenant, elle représente un druide qui tend un bock de bière à bout de bras ; dans lautre main, il tient un rameau de gui. Arborant un air soucieux, on devine quil hésite entre lalcool et son sacerdoce. Dans une bulle de bandes dessinées, trône un point dinterrogation de taille respectable
Cest tout simple et ne révoltera personne. Maeva et Balto nont pas appelé, cest leur choix. Il est prévu quils rentrent dans laprès-midi.
Il prend son journal, aussitôt son attention est attirée par deux articles qui font la une, aux côtés dévénements bien plus graves pour lHumanité :
Pierre Duroc, un légionnaire à la retraite et récemment impliqué dans une affaire de défenestration, a été découvert atrocement mutilé à cent mètres de son domicile.
Le présumé crime a eu lieu au Nouveau-Monde, en Haute-Loire, village jumeau de Chapeauroux, situé en Lozère, de lautre côté dun pont enjam-bant lAllier.
La Police soupçonne un déséquilibré, mais les « gens du cru » évoquent le retour de la Bête du Gévaudan
Découverte de trois corps « abîmés » dans la Forêt de Mercoire, à dix kilomètres de Langogne, en Lozère.
Une femme morte de vieillesse, une naine décapitée et un tigre monstrueux égorgé
La bête serait à la fois lagresseur et la victime.
Mais un tigre ne se suicide pas après avoir donné la mort
La Police semble dépassée et travaille en étroite collaboration avec un zoologue
Kerjean panique. Il est livide, et ce qui suit lui glace le sang. Il vomit le café quil vient davaler, croyant que cette matinée serait belle.
Le corps privé de vie du légionnaire a été découvert à proximité de sa mai-son en pierres, sur le parcours de son footing quotidien. On la décapité puis éventré. Un papier raturé a été retrouvé enfoncé dans son abdomen. On y avait écrit à la hâte : « Je vous livre lassassin de Tiburce Barnouin »
Lenquête avait très vite dévoilé que cétait effectivement le meurtrier du dénommé Tiburce Barnouin. On avait déniché chez lui le procès verbal que le contrôleur lui avait jadis dressé, et quil avait gardé. Cétait un fétichiste, un maniaque de linfraction, et il prenait un malin plaisir à collectionner les blâmes accumulés. Comme des trophées de guerre
Mais le plus troublant dans laffaire, cétait le rapport du médecin légiste : les griffes ayant occa-sionné les blessures mortelles sont probablement les mêmes qui ont égorgé le tigre de la Forêt de Mercoire.
Et amère cerise sur le gâteau empoisonné, le 4 x 4 de Gwendal Kerjean avait été garé à proximité du lieu du crime. Son nom était dailleurs cité dans le journal.
Cinq minutes plus tard, la Police faisait irruption au Bock dOr.
Linterview du monstre du Loch Ness devra être différé
Là-bas, à Chapeauroux, pendant que Kerjean chassait le scoop sur les lé-gendes locales, Balto avait mené une enquête parallèle. Il écoutait attenti-vement les réponses des gens qui évoquaient parfois des incidents ayant eu lieu sur les voies ferrées durant le siècle dernier, la plupart impliquant des employés de la SNCF. Il avait discrètement réclamé des infos sur lincident du Viaduc de la Madeleine, dont Tiburce avait été la victime, mais rien navait filtré. En revanche, on lui avait conseillé de se renseigner à la gare de Langeac, en se faisant passer pour un parent ou un journaliste, par exemple. Il sy était donc rendu à lissue du psychodrame de la Forêt de Mercoire, non sans avoir au préalable récupéré de nouveaux vêtements sous la tente.
Là-bas, à Langeac, il avait questionné des cheminots
Dans un bar, il était tombé tout à fait par hasard sur un chef de gare à la retraite, beau-frère du flic qui avait mené lenquête sur la défenestration. Il lavait orienté sur ladresse dun suspect. On navait jamais rien prouvé contre lui, mais il était douteux, dans la mesure où il sétait installé dans la région après avoir été aimablement prié de descendre dun car touristique, deux mois auparavant. A lépoque, on lavait soupçonné dêtre venu dans le coin dans le but de se rapprocher du contrôleur qui lavait verbalisé.
Les fondations de la folie creusaient des failles coupables dans son cer-veau
Balto avait suivi cette piste
Ensuite, après avoir réglé son compte au légionnaire, Balto avait décidé de réintégrer son squat marseillais. Il y avait toujours une place réservée dans ce genre dendroit. Il ne pouvait raisonnablement pas remonter à Comblessac, pour se pointer chez Gwendal Kerjean
Les « cornacs » se succédant sur lautoroute de lexil, il avait songé à ce texte que Tiburce avait écrit lorsquil vivait chez Florette Jolivet, en Ardè-che. Il y était question dun gamin, Esteban Quiz, qui préférait la compagnie dune famille de pingouins que celle de son père, un capitaine de galion, venu le récupérer sur la banquise.
Tiburce avait été tout fier de lui expédier le manuscrit par la Poste, puis-quil lavait préalablement proposé à un éditeur. Hélas sans résultat. Cétait un peu la propre histoire de Balthazar Beltoise
Ainsi avait-il revu ses potes de lennui, et lun deux lui avait appris que Martine sétait suicidée un mois après son départ, utilisant le couteau avec lequel il avait lui-même tenté de se trancher les veines.
Très vite, au fil du temps, sa mémoire sétiolait, lamnésie frappant à la porte
Et il avait suffi de lentrebâiller, pour quun courant dair glacial sy engouffrât, lui hérissant le poil.
Il ne se transformait plus, non, navait plus la moindre raison de le faire
Sa barbe et sa moustache repoussaient. La routine reprenait ses droits
ceux du bannissement volontaire.
Et puis, une nuit quil avait un peu trop bu, tandis quil marchait sur un trottoir souillé par des détritus qui voletaient au gré du mistral, une feuille de journal, poussée par une rafale, sétait plaquée contre son visage
Le cirque Pinder était de passage à Marseille. En photo, des fauves para-daient, un dompteur se tenant en retrait, botté et un fouet à la main. On de-vinait que le bruit quil émettait en le claquant était couvert par les rugisse-ments.
Alors une étincelle crépita sous le crâne de Balto, allumant une mèche au cur de ses synapses
Son sang se mit à bouillir, les glaçons que ses veines charriaient fondirent, inondant ses terminaisons nerveuses dun raz de marée dadrénaline. Il eut limpression dêtre en rut ; son sexe se durcit sous létoffe, déformant son pantalon. Ce nétait pas quune impression. Et sil saccouplait avec une femelle tigre, hein ? Non, pas avec une lionne, il navait pas vraiment envie que sa progéniture ressemblât à Lilith, la bâtarde !
Il désire un sang pur !
Il est baigné par les rayons gris de la pleine lune mais la lumière jaunâtre dispensée par lunique réverbère atténue la couleur métallisée dont le quartier se pare
Balto regarde machinalement lheure. Cest minuit.
Minuit pile !
« A minuit, une montre, cest avant tout un nid abritant un duo daiguilles qui saffichent en solo lespace dun soupir de nuit. Superposées tels les corps dun couple faisant lamour, elles se chevauchent lors dun trop bref instant échappé dun sablier où sécoule la poussière des ténèbres. De mi-nuscules grains déternité la poudroient, semés par le néant
Cest la suie du temps dans la cheminée du monde, et lêtre humain en est le ramoneur.
Minuit, cest une heure suspecte de pleine lune et de superstition populaire, drogue atavique plus perverse que la religion.
Ainsi, programmé pour stationner deux fois par jour sur le nombre 12, ce coït temporel indique minuit, pas une minute de plus, pas une de moins. Quant à midi, cest une toute autre histoire
moins mystérieuse, et de celle qui ouvre lappétit ! »
FIN